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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/745

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courage qui éclate au bruit du canon que de celui qui s’exalte dans le silence du bivouac à deux heures du matin. Se montre-t-il peu, il n’inspire pas confiance ; se prodigue-t-il, on ne le respecte pas. Enfin il est obligé de tenir la main sur le cœur de son armée : s’il bat trop vite, il le calme ; il l’excite, s’il bat trop mollement.

Une des parties les plus difficiles de cet art, dans lequel tout est difficile, me paraît être de connaître les desseins de l’ennemi. Les moyens matériels sont incertains : les espions peuvent tromper ou être trompés[1] ; il n’est pas sûr que les messages interceptés n’aient été intentionnellement mensongers, afin de lancer sur de fausses pistes ; les déserteurs ont souvent mal vu ou malentendu. Ce n’est donc que par le plus prodigieux calcul de probabilité intellectuel, en combinant ce qu’il sait du caractère de son adversaire, de la nature de son armée, des nécessités invincibles du théâtre d’opérations, du tracé des routes, du cours des fleuves, de l’emplacement des dépôts d’hommes ou d’armes, des idées théoriques des états-majors et de l’enseignement technique de l’armée, que le général peut deviner l’opération à laquelle il doit parer, et lorsqu’il l’a ainsi devinée, il faut qu’il croie à ce que son calcul lui a montré plus qu’à ce qu’on lui dira, ou qu’à ce que ses yeux sembleront voir.

Comment décider parmi ces qualités indispensables lesquelles le sont davantage ? S’il fallait prononcer, nous dirions que c’est la résolution, l’imperturbabilité et l’activité. Sans résolution, il n’y a pas de véritable homme de guerre. Il vaut mieux prendre une mauvaise résolution et l’exécuter sur-le-champ que de n’en prendre aucune. Le parti le plus mauvais à la guerre est le plus pusillanime[2]. La vraie sagesse pour un général est dans une détermination énergique[3]. Sans audace était la plus mauvaise note que Napoléon pût donner à un général. Et il ne suffit pas de vouloir un jour, à un moment donné ; il faut vouloir tous les

  1. Frédéric avait dans l’armée autrichienne un officier supérieur qui l’instruisait des projets du général Daun. Celui-ci le rencontre un jour un panier à la main. « — Que portez-vous ? lui dit-il. — Des œufs. — Remettez-les à mon cuisinier. » Au premier que le cuisinier casse, il découvre un billet au roi de Prusse. — « Votre crime mérite la mort, dit alors le général autrichien. Vous pouvez cependant vous racheter. Mettez-vous à ce bureau et écrivez au roi de Prusse ce que je vais vous dicter. » Trompé par cette fausse indication, Frédéric fut sur le point d’être surpris.
  2. Frédéric.
  3. Napoléon.