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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/758

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comme l’Empereur. Il le considérait comme une fatalité sur laquelle il ne fallait pas gémir. De plus, quoique nullement fanfaron, il avait d’instinct l’optimisme qu’inspire l’offensive. « Cela ira bien, » avait-il coutume de dire. Dans l’intimité, assurent ses amis, il contait agréablement, mais, dans son rôle officiel, il parlait avec peine, d’une manière hésitante, filandreuse, embrouillée, et je l’avais trouvé tel dans mes conférences avec lui sur les affaires d’Afrique.

Dans sa jeunesse, il fumait effroyablement, jusqu’à s’endormir le cigare à la bouche. Il s’était guéri de ce défaut, mais il en avait conservé un affaiblissement de mémoire et une habitude de brouiller les noms propres. Il donnait mal ses ordres ; lorsqu’il était embarrassé, il répétait sans cesse : « En définitive… en définitive… » Autant Canrobert savait bien parler aux troupes, autant lui ne trouvait rien à leur dire. Mais le premier coup de canon éclaircissait ses idées confuses au repos, et sa harangue à lui, celle par laquelle il entraînait les troupes, c’était le magnifique exemple qu’il leur donnait. Poli, aimable, il ne pouvait rien dire de désagréable, si ce n’est quand il était en colère ; alors il avait des coups de boutoir terribles. C’était une nature violente, contenue par une bonne éducation. Les critiques le disaient égoïste, dévoué à rien et à personne en dehors de sa famille. Tous étaient cependant obligés de reconnaître qu’il l’était à ses devoirs militaires et inébranlablement attaché au règlement dont le premier article pour lui était l’honneur. D’un corps de fer, hardi cavalier, sobre, d’une infatigable activité, dormant peu, il n’avait d’autre luxe personnel que celui de ses chevaux de selle toujours de première qualité. Toute fanfaronnade lui était inconnue, et la simplicité de son sentiment lui faisait naturellement trouver les mots grands comme celui de Malakoff : « J’y suis, j’y reste. » L’accompagnant à son départ d’Afrique, la générale de Vaulgrenant s’écriait : « Eh bien ! maréchal, vous partez pour la victoire. — Je pars pour la bataille, » répondit-il. De haute stature, l’œil gris résolu, la moustache blanche, dans sa noble personne il y avait une puissance sans recherche qui donnait confiance et inspirait le respect.

Le ministère l’eût vu avec d’autant plus de plaisir à la tête de l’armée qu’il n’avait eu qu’à s’en louer. Il aurait pu gêner beaucoup nos projets de réformes en Algérie. Le premier moment de résistance passé, il les avait favorisés, et avait accepté