Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera suivie sur-le-champ de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus par le verdict d’accusation et qui seront désignés par le sort. L’archevêque et son vicaire général étaient les premiers otages, et tout portait à croire qu’ils seraient aussi les premières victimes.

Le Jeudi-Saint, on transfère Mgr Darboy et M. Lagarde du Dépôt à la prison de Mazas. Ils rencontrent au greffe le président Bonjean, les PP. Ducoudray, Clerc et de Bengy et l’abbé Allard, arrêtés eux aussi comme otages. Jusqu’au mercredi de Pâques, ils sont tenus au secret absolu. On se bornait à vociférer à leur porte la nouvelle des excès commis par les soldats de Versailles contre les insurgés et à les en rendre responsables. « On communiquait en outre, dit M. Gautherot, à Mgr Darboy le Journal officiel de la Commune dont les récits tendancieux, écrits dans un style relativement modéré, lui donnaient peu à peu une notion fausse des événemens. Tout était calculé pour tirer des otages le plus utile parti possible. C’est ce qui explique les lettres que l’archevêque de Paris consentit alors à adresser à Versailles[1]. »

Le 8 avril, forçant le secret auquel on avait condamné les prisonniers, Benjamin Flotte, ami intime de Blanqui, vint demander à l’archevêque d’intervenir auprès de M. Thiers pour obtenir l’échange secret de Blanqui contre sa propre personne et celle de sa sœur Mlle Darboy, du président Bonjean, et des abbés Deguerry et Lagarde. Il venait, disait-il, de la part de Raoul Rigault qui lui avait donné carte blanche. Il confirma à l’archevêque les prétendues atrocités commises par les Versaillais et le supplia d’intervenir au nom de l’humanité.

C’est alors que Mgr Darboy, ému de ce qu’il venait d’entendre et croyant à la réalité de ces faits, tant M. Flotte, malgré ses opinions très avancées, lui paraissait un homme droit et sincère, écrivit à M. Thiers la lettre suivante : « Hier vendredi, après un interrogatoire que j’ai subi à Mazas où je suis détenu en ce moment, les personnes qui venaient m’interroger m’ont assuré que des actes barbares avaient été commis contre les gardes nationaux par divers corps de l’Armée. Dans les derniers combats, on aurait fusillé les prisonniers et achevé les blessés

  1. Une étude anonyme, parue dans le Correspondant des 25 mai et 11 juin 1878, avait déjà donné la même information.