Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette époque, où seule encore existait l’Histoire politique, le clinicien, pour reconstituer les symptômes de la folie de Charles VI, trouve à sa disposition tous les documens de l’histoire d’un règne et d’une dynastie. Non seulement une ample collection de textes contemporains relate, jusque dans ses moindres détails, la vie publique et privée de Charles VI, mais l’illustration même de la Maison Royale a préservé contre l’oubli le plus obscur de ses ascendans et le plus éloigné de ses collatéraux. La glorieuse continuité des dynasties, ces « plantes vivaces, » comme les appelle Burke, par opposition aux familles des particuliers, « plantes annuelles qui naissent et meurent dans la même saison, » fournit à l’historien de Charles VI l’occasion, unique en biologie, de poursuivre une hérédité morbide à travers dix-huit générations et pendant plus de six cents ans. Et, malgré les réserves qu’il convient toujours de formuler en matière d’hérédité paternelle, les renseignemens recueillis paraissent ici suffisamment probans, au moins dans leur ensemble, pour qu’on puisse leur accorder une certaine confiance.

Cette documentation si vaste présente, en outre, sur bien des points, et toujours en vertu de son caractère politique, une autorité de premier ordre. Il semblerait, a priori, que, dans cette étude, l’historien de la médecine dût rencontrer deux auxiliaires naturels : les médecins et les historiens ; en réalité, ces alliés le trahissent souvent. Le médecin du moyen âge est plus curieux de théories que de faits et s’applique uniquement à définir la maladie par ses causes hypothétiques, non par ses caractères cliniques, directement saisissables. Quant aux relations des chroniqueurs, si, comme l’a dit Petit de Julleville, « elles séduisent délicieusement le lecteur par leur sincérité, leur spontanéité, leur fraîcheur, et ce je ne sais quoi de candide et de naïf qui fait songer au récit d’un enfant, » elles n’en sont que plus suspectes ; ces documens réclament l’application d’une critique du témoignage très rigoureuse, au même titre précisément que les affirmations des enfans, presque toujours entachées de cette tendance à l’altération des faits, au mensonge et à la fabulation, que j’ai étudiée sous le nom de « Mythomanie. » Mais, à côté de ces sources narratives, si incertaines, il en est d’autres, qui, leur authenticité une fois vérifiée, représentent, pour le savant moderne, la matière première de l’histoire : ce sont les sources administratives et diplomatiques, d’ordre