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chariot et on le ramena au Mans pour lui faire prendre un peu de repos. Ses forces étaient tellement épuisées qu’il resta deux jours sans connaissance et privé de l’usage de ses membres. Bientôt son état empira ; le corps commença à se refroidir : la poitrine seule conservait encore un reste de chaleur et de vie, qu’on distinguait à peine aux légers battemens de son cœur ; les médecins mêmes déclaraient que le Roi allait mourir. »

Froissart a donné du même événement une description plus imagée : « Il faisoit très âprement chaud… Le soleil par droiture et nature étoit en sa greigneur force, sur un plain et sablonnis. » Le Roi étoit vêtu « d’un noir Jacques de veloux, qui moult l’échaufoit, et avoit sur son chef un chapeau de vermeille écarlate et un chapelet de blanches et grosses perles, que la Reine sa femme lui avoit donné au prendre congé. » A l’entrée de la forêt, « un homme, plus fol que saige, tête et pieds nus, vêtu d’une belle cote de burel blanc, » sort d’un fourré, se cramponne aux rênes du cheval, en criant : « Roy, ne chevauche plus avant » mais retourne, car tu es trahi ! » Les gens d’armes le frappent à coups de plat d’épée, arrivent à lui faire lâcher prise, mais il leur échappe. Quelques minutes plus tard, un page, endormi sur sa monture, laisse glisser la lance qu’il portait. Cette lance tomba sur « un chapel d’acier » d’un autre page et « sonnèrent haut les aciers. » « Le Roy, qui avoit encore en l’imagination les paroles que le fol homme ou le saige lui avoit dites, » tressaille, s’imagine être entouré d’une foule d’ennemis qui en veulent à sa vie, donne de l’éperon à son cheval, saisit son épée, frappe d’estoc et de taille, criant : « Avant ! avant ! sur les traîtres ! » Il chercha à frapper le duc d’Orléans « qui n’étoit pas bien assuré et fuyoit tant que le cheval povoit. » « Quand il eut bien lassé et travaillé son cheval, bien saoulé et attrempé de sueur et d’ardeur, » un chevalier s’élance sur lui, l’enlace et arrive à le « tenir tout court. » On le déshabille « pour luy refroidir. » Il fut alors transporté au Mans, puis à Creil, sur la rivière de l’Oise. Là, ses oncles vinrent le voir. Mais, il « avoit perdu la connaissance d’eux, ne nul semblant d’amour ne leur faisoit, et lui tournoient à la fois les yeux moult merveilleusement en la tête, ne à nul ne parloit… Le lendemain, les oncles le trouvèrent moult foible. Il ne se pouvoit prendre au repos… Ils lui demandèrent comment il lui estoit. Il ne répondit parole ne mot, mais les regarda très diversement et perdit la connoissance d’eux. »