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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/850

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Juvénal des Ursins, de son côté, nous a laissé le récit suivant :

« Au devant de luy vint un meschant homme, mal habillé, pauvre et vile personne, lequel vint au devant du Roy en lui disant : « Roy, où vas-tu ? Ne passe pas plus oultre : car tu es trahi et te doibt-on bailler ici à tes adversaires. » Le Roy entra d’ailleurs dans une grande frénésie et merveilleuse, et couroit en divers lieux, et frappoit tous ceux qu’il rencontroit, et tua quatre hommes. Lors on feit grande diligence de le prendre, et feut pris et amené en son logis. »

Le Roi, pendant sa maladie, après la journée de la forêt du Mans, était non seulement faible et abattu comme le dépeignent les chroniqueurs, mais encore très agité, ainsi que l’atteste le livre des dépenses de la Maison du Roi. En août, septembre et octobre 1392, il n’est question, dans ce livre, que de « hannaps d’or desperiés, » de « bacins d’or à redrécier, » de « coupe d’or toute rompue, etc. » Un jour, Charles VI, dans sa fureur, tenta de se précipiter de la fenêtre de la chambre qu’il occupait à Creil. Pour empêcher le retour de pareils accidens, on fit construire à la fenêtre de cette chambre un balcon en saillie sur la cour d’où on pouvait sans danger voir jouer à la paume dans les fossés du château. Telle est l’origine de la légende de laçage dans laquelle on aurait enfermé le Roi pendant ses accès de fureur.

On fit venir à Creil Guillaume de Harseley, de Laon, « le meilleur médecin de France. » « Le maître Guillaume de Harseley, dit Froissart, lequel avoit le Roy en cure et en garde, se tenoit tout quois delès lui à Creil et moult soigneux en fut et trop grandement bien s’en acquitta et honneur y acquit et prouffit grant ; car, petit à petit, le remit en bon estat. Premièrement, il le osta hors d’une merveilleuse et forte fièvre et de la chaleur, et lui fist avoir goût de boire et de manger et appétit de dormir et reposer, et si lui fist avoir cognoissance de toutes choses ; mais il estoit trop faible, et petit à petit pour luy renouveler d’ayr il le fit chevaucher et aller en gibier et voler de l’espervier aux aloes. »

Peu à peu, il reconnut sa femme et ses enfans. Guillaume le rendit à son frère : « Dieu mercy, le Roy est en bon estat, je vous le livre tout aisé et haitié. D’ores en avant, on le garde de courroucier et melancholier. Car encore, n’estoit pas bien ferme de tous ses esprits, mais petit à petit il se affermera, et joies et déduits, oubliances et déports par raison lui sont plus