Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

besoin d’activité, esprit d’aventure) de l’accès d’excitation et de délire qui allait éclater. Les accidens d’ailleurs se précipitent et, à peine arrivé au Mans, le Roi donne à tous l’impression d’un malade et d’un agité. Enfin, le 5 août 1392, sourd aux conseils de ses parens, le Roi, par une chaleur torride, sort de la ville à cheval et armé de pied en cap. Ici se place l’incident historique de l’apparition du fameux personnage, qui interpella le monarque à son passage dans la forêt du Mans. Nous possédons sur cette aventure trois versions différentes : la première, celle du Religieux de Saint-Denis, émane peut-être d’un témoin oculaire de l’accident ; la seconde, celle de Froissart, postérieure à la précédente et beaucoup plus imagée et plus pittoresque ; enfin une troisième, de Juvénal, plus sobre et plus concise.

Les trois auteurs s’accordent pour admettre, à titre de fait historique, et sans contestation, l’existence de ce mystérieux personnage. Froissart cependant élève un doute, non sur la réalité mais sur l’intégrité mentale de ce vagabond, et exprime l’opinion qu’il s’agit d’un homme « plus fol que sage. » Ultérieurement, tous les historiens, à ma connaissance, ont reproduit, sur la foi des contemporains, la même version. Michelet parle, il est vrai, des « mirages » au milieu desquels le Roi chemine par ce jour de soleil aveuglant, et emploie pour désigner la venue de cet homme le mot d’ « apparition. » Mais il ne semble pas avoir donné à ce terme le sens d’hallucination. Il y a là pourtant, semble-t-il, un problème de critique historique et psychiatrique qui doit être posé, sinon résolu. La diversité des récits transmis par les chroniqueurs, qui décrivent cet homme tour à tour comme « un misérable couvert de haillons » (Religieux de Saint-Denis) et « un homme, tête et pieds nus, vêtu d’une belle cote de burel » blanc (Froissart), l’invraisemblance de la conduite prêtée à ce personnage qui, selon le Religieux, s’acharna à poursuivre le Roi pendant près d’une demi-heure, malgré les menaces et les coups ; enfin l’absence de toute notion sur l’identité de cet individu qui demeure insaisissable et parvient à s’échapper, au milieu d’un grand nombre d’hommes d’armes : un tel ensemble de renseignemens paradoxaux, ou même franchement contradictoires, autorise l’historien à révoquer en doute le témoignage positif des contemporains. Ce personnage étrange, vêtu de blanc et comme immatériel, qui surgit inopinément, en prononçant des paroles menaçantes, qui se dérobe