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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/867

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aux hommes d’armes, résiste aux coups d’épée, et s’évanouit enfin sans laisser de traces, ce fantôme insaisissable et terrifiant paraît tenir plus du cauchemar que de la réalité ; peut-être serait-il légitime d’interpréter l’apparition de ce « fol homme » comme l’hallucination d’un cerveau malade communiquée à l’entourage, devenue ensuite une hallucination ou une croyance collective, puis une légende, et de considérer cette vision, en quelque sorte, comme le prélude des accidens psychopathiques suraigus qui devaient se déchaîner quelques instans plus tard. En tout cas, cette hypothèse méritait d’être soulevée.

Au sujet de la crise furieuse de la forêt du Mans, la même question se pose : pendant l’accès, comme avant l’accès, peut-on affirmer l’existence d’hallucinations ? Ici encore, le récit des chroniqueurs ne permet guère de résoudre ce problème. Au bruit d’une lance tombée sur une armure, le Roi, tout à coup, comme tiré d’un rêve, tressaille. Il s’écrie : « On veut me livrer à mes ennemis, » et donnant de l’éperon à son cheval, il se précipite dans une course effrénée, « frappant ses amis aussi bien que les premiers venus. » On sait encore par Monstrelet que le Roi, amené à Creil, aurait dit « tantost après qu’il put parler : « Pour Dieu, ôtez-moi cette espée qui me transperce le cuer ! Ce m’a fait beau frère d’Orléans ! » — Et il ajoutait : « Il faut que je le tue ! » La plupart de ces symptômes peuvent, à vrai dire, se rapporter aussi bien à des illusions qu’à des hallucinations. Toutefois, l’ensemble des troubles sensoriels, l’état de terreur intense qui les accompagne, la course éperdue dans la forêt jusqu’à complet épuisement des forces, enfin les conditions écologiques (grande chaleur, armure très lourde, éthylisme possible) constituent autant d’argumens qui plaident en faveur de l’existence d’hallucinations, d’ailleurs associées, dans une large mesure, à des interprétations et à des illusions. Enfin, d’après Froissart, le Roi, pendant cette crise, aurait été travaillé par « une merveilleuse et forte fièvre » et plus tard, au cours de sa convalescence, il n’aurait conservé de son équipée qu’un souvenir très vague et très lacunaire.

A partir de cet accès, il ne sera plus question, dans les documens, de « fièvre et chaude maladie. » L’affection procède par intermittence, selon un type évolutif d’ailleurs assez irrégulier, sans périodicité, vraie ; et, pendant le cours aussi bien que dans l’intervalle des crises, elle présente un ensemble de