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manifestation complexes, dont il importe de préciser la signification clinique.

Pendant les accès, on reconnaît dans le tableau morbide deux ordres de symptômes, différens ou opposés, qui se succèdent ou même s’associent. Au premier plan, apparaissent des signes d’excitation motrice et psychique : bris d’objets, gestes obscènes, vociférations, etc. Mais, à d’autres momens, et parfois, semble-t-il, dans le même temps, le Roi manifeste un abattement, un état d’inertie et de torpeur où, selon le texte du Religieux de Saint-Denis, il refuse « de changer de chemise et de draps, de prendre des bains, de se laisser raser la barbe, enfin de manger et de dormir à des heures réglées. » Il reste muet pendant de longues heures : « On le venoit voir aucunes fois, dit Juvénal, et luy regardoit fort les gens et ne disoit mot quelconque. » A d’autres momens, il souffre, se lamente, et recherche avec angoisse quelle peut être la cause de pareils tourmens. Craignant la colère du ciel, il envoie des dons aux chapitres, notamment à Saint-Julien du Mans, « à cause des meurtres qu’il a commis » dans la forêt. Selon Juvénal, il introduit et conserve dans sa chair un morceau de fer qui produit un ulcère infect. Eprouvant une crainte, d’ailleurs assez naturelle à une époque et dans un milieu fertiles en empoisonnemens criminels, évoquant des souvenirs de famille, il se demande s’il n’est, pas empoisonné et, loin de réagir par la colère et les récriminations, il se borne, en désespéré, à supplier qu’on l’achève. « S’il est ici, dit-il, celui qui me fait souffrir, je le conjure, au nom de Notre-Seigneur, de ne pas me tourmenter davantage, de faire que je ne languisse plus et que je meure ! »

De ces manifestations d’inhibition et de dépression, il convient de rapprocher un ensemble de conceptions morbides que Charles VI, au cours de ses crises, exprime fréquemment : ce sont des idées délirantes de négation et de transformation, concernant sa personnalité : il n’a ni trône, ni armoiries, ni femme, ni enfans. Il s’appelle George, il est de verre, etc.

Dans l’intervalle des crises, l’affection du Roi présente, comme au cours des accès, un tableau clinique assez confus et disparate, dont il convient de reconnaître les élémens symptomatiques. Nous avons vu que les documens historiques sur les rémissions de la maladie du Roi sont, en apparence au moins, contradictoires. Dans les textes des différens auteurs, et souvent