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l’esprit de la bête et de celui de l’homme. Il veut aussi examiner la question du Transformisme ; enfin savoir si la géométrie préside à tout, et si elle nous parle d’un Universel Géomètre ; ou si « le beau sévère, domaine de la raison, c’est-à-dire l’ordre, est le résultat fatal d’un mécanisme aveugle. » Que l’insecte soit propre à nous renseigner là-dessus, c’est ce qu’il affirme ; car par sa richesse inouïe en instincts, mœurs, et structure, il nous révèle un monde nouveau, comme si nous avions colloque avec les naturels d’une autre planète ; tandis que les animaux supérieurs, nos proches voisins, ne font que répéter un thème assez monotone.

Or ces problèmes ne peuvent pas se résoudre a priori. C’est aux faits à répondre, non à l’esprit humain à imaginer. Aussi il voue au fait une fidélité absolue, fanatique ; tandis qu’il se défie toujours des théories. « Les faits précis sont seuls dignes de la science. Ils rejettent dans l’oubli les théories prématurées, » et si sa « méthode ne doit pas nous apprendre l’origine des instincts, elle nous apprendra du moins où il est inutile d’aller la chercher. » Observer le fait brut, l’enregistrer, puis se demander quelle conclusion repose sur sa solide charpente, telle est l’unique règle de M. Fabre ; et si on lui oppose des argumens, il demande des observations : « Voyez d’abord, vous argumenterez après. »

Pour accumuler des faits, il y a, quelque pénible qu’elle soit, l’observation directe, sur les lieux mêmes où vit le sujet. Et M. Fabre nous parle alors des longues heures passées sur les sables brûlans du bois des Issarts, désormais célèbre, à épier le bembex ; ou de l’assaut donné, avec l’appréhension des piqûres, à un essaim bourdonnant d’hyménoptères en plein travail. Mais il faut aussi provoquer les faits par l’expérimentation, pour mettre l’animal dans la nécessité de nous dire ce qu’il ne dirait pas livré au courant normal. M. Fabre, enfin, a usé de l’éducation, chaque fois que la chose lui a été possible. Son bureau d’études a dû souvent être bien pittoresque, quand des osmies y travaillaient, mêlées aux chalicodomes de son hangar, aux araignées de sa table.

C’est alors, sur ces faits bien observés, que se bâtit l’interprétation. Et ici, vraiment, naît le prodige ; car la sympathie pour la bête donne à M. Fabre une sorte de sens spécial, qui lui permet de saisir la signification de ses actes, comme s’il y