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prépare ses voies. Sous l’impulsion d’un pressentiment, pour nous insondable mystère, la larve quitte l’intérieur du chêne et s’achemine vers l’extérieur, au péril de sa vie, car elle y est menacée par le pic. Elle laisse, entre la galerie et le dehors, un menu rideau d’écorce ou même rien. La fenêtre libératrice ouverte, elle recule, et, sur le côté de la voie de sortie, elle creuse l’appartement de la nymphose, barricadé de débris ligneux et d’un opercule minéral de craie dont son estomac fournit le calcaire. La cellule est tapissée et la larve enfin s’immobilise, en ayant soin de mettre sa tête du côté de la porte ; car le futur capricorne ne saurait se retourner pour sortir. Où le ver a-t-il donc puisé sa vision de l’avenir ? Ce n’est assurément pas dans l’expérience de ses sens. En dehors des impressions sensorielles, l’animal a donc des inspirations innées.

On conviendra, du moins, que M. Fabre sait, à bon droit, découvrir de multiples objets d’étonnement ; qu’il sait voir et sentir le merveilleux des réalités qu’il observe ; et cela déjà n’est pas donné à tous.

III

On aurait une idée tout à fait fausse de l’intellect de l’insecte si on s’en tenait aux observations qui viennent d’être rapportées. Il y a un revers ; et M. Fabre le montre avec autant de force qu’il en a mis à exalter la bête. Si l’insecte nous confond par sa science, en revanche, il nous embarrasse et nous déroute par sa profonde stupidité. Que l’homme, par la culture, arrive au degré de perfection de l’ammophile, cela se conçoit ; mais qu’un intellect incapable et obtus y parvienne, c’est là ce qui doit surprendre.

Laissons encore la parole aux faits. Un sphex vient d’enfermer dans son terrier une proie paralysée et il est occupé au travail de comblement. Au milieu de ce travail, écartons-le et enlevons la proie de la cellule. Le sphex, resté tout à côté, entre chez lui et y séjourne un instant ; puis il sort et il reprend son ouvrage au point où il l’avait abandonné ; il se remet à boucher la cellule. Après visite de sa chambre vide, le sphex dévalisé se comporte donc comme s’il ne s’était aperçu de rien. Le travail de clôture est ici absurde ; n’importe, l’animal l’accomplit. Les divers actes instinctifs sont donc fatalement liés l’un à l’autre.