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gratuit étonnamment limité, l’instinct rivalise avec le savoir, d’acquisition si coûteuse. Il renseigne sans erreur, mais dans un cercle borné, et sans que l’animal s’en rende compte. L’intelligence au contraire tâtonne, cherche, s’égare, se retrouve et plane d’une incomparable envolée. Le domaine de l’instinct est un point. Celui de l’intelligence est l’univers.

L’instinct est encore une impulsion irrésistible, impulsion secrète qui pousse l’animal jusqu’à satisfaction d’elle-même, même si le résultat est accidentellement sans valeur. L’animal n’est pas plus libre que conscient dans son industrie, dont les phases sont réglées comme celles de la digestion par exemple. Le pélopée et le grand paon sont de vraies roues de moulin, non aptes à suspendre leur rotation lorsque manque le grain à moudre. L’instinct impose son inflexible loi, là précisément où l’expérience et l’imitation ne peuvent rien. « Voilà le fatum qui explique les énormes inconsciences du pélopée. La cétoine, superbe insecte, abandonne le somptueux hamac embaumé d’essences pour descendre dans l’ordure, afin d’y pondre. Il n’y est pas incité par le souvenir de son état de larve, mais poussé par une impulsion irrésistible. L’insecte est passif quand il obéit à cette impulsion intérieure. Pas plus que la plante ou que la matière cristallisable quand elle assemble ses bataillons d’atomes, il ne combine pour parvenir à son ingénieux assemblage. Le nid de la mante est un ouvrage très compliqué, avec son enveloppe athermane, sa gangue cornée dans laquelle sont suspendus les œufs, ses feuillets imbriqués du sillon de sortie. Cependant, en le faisant, la mante ne lui donne aucun regard ; il résulte du seul jeu des organes. Telle est, à la limite, la conception que M. Fabre se fait de l’instinct, bien qu’il ajoute ici que le nid n’est pas œuvre industrieuse exigeant le savoir faire de l’instinct. Cela fait penser aux animaux automates de Descartes.

D’autre part, la succession des actes instinctifs est rigoureusement réglée ; leur ordre ne peut être retourné ; il est irréversible, et leur suite n’est effectuée qu’une fois. Pour l’insecte, ce qui est fait est fait et plus ne se reprend. Son activité ne lui permet pas le recul ; il ne rétrograde pas plus que les aiguilles d’une montre ; il est comparable au cours d’eau qui ne remonte pas à sa source. Quand l’engrenage a mordu, le reste du rouage doit suivre ; les actes de l’instinct sont comme une série d’échos qui s’éveillent dans un ordre fixe. On ne s’explique pas autre-