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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/909

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femmes » et que les femmes adorent ; etc., etc. Je crois que le mot : « tigre, » appliqué à Racine, est employé une centaine de fois dans les quatre cents pages du volume.

Il était un bourgeois avisé, prudent, adroit et plat. C’est un intrigant très habile, qui mène sa vie d’après un plan bien dessiné par avance et avec une admirable logique. Il s’appuie tantôt sur sa famille paternelle, tantôt sur sa famille maternelle, surveillant de près ses intérêts, âpre, retors, madré. « Et tout cela c’est de l’intrigue ; » et « à Versailles, à la Ville, au Palais, dans sa famille, partout il joue au plus fin. » Et il est avide d’argent et il se fait donner tout ce qu’il peut d’argent par le Roi ; et il fait un horrible mariage d’argent avec une idiote et il est hideusement avare, et il meurt millionnaire, ce qui fut le but de sa vie. C’est un procureur ; c’est un maître renard.

Ces deux portraits si opposés de Racine alternent comme s’ils se poursuivaient l’un l’autre exactement pendant le cours tout entier du volume. Jamais M. Masson-Forestier ne nous dit, ni ne nous fait entendre, auquel il s’arrête et lequel décidément lui semble le vrai. Il en résulte pour le lecteur une certaine incertitude.

Or, savez-vous pourquoi M. Masson-Forestier ne choisit pas entre ces deux définitions différentes de son héros ? C’est qu’il lui est indifférent que Racine soit un tigre ou un renard, un bandit ou un procureur, un grand seigneur méchant homme ou une bête de troupeau, du reste mauvaise bête, un superbe bandit ou un plat intrigant — pourvu qu’il soit un vilain homme. A cela seulement il tient ; mais il y tient furieusement. Que l’on ne croie pas que Racine soit un honnête homme, c’est cela seulement qui lui importe, et accordez-lui que Racine, d’une façon ou d’une autre, est le contraire d’un honnête homme, il est satisfait, il est heureux et il n’en demande pas davantage. C’est pour cela qu’il ne s’est pas attaché du tout à montrer de quelle manière, décidément, Racine est malhonnête ou de quelle manière il l’est le plus. Pourvu qu’il le soit, sa démonstration est faite et son but atteint.

Soit, et acceptons ce réquisitoire en partie double et en parties absolument discordantes, et voyons comment l’auteur prouve que Racine est un scélérat d’une certaine façon et aussi de la façon absolument contraire et exclusive de la première. C’est le comment ici qui fera le portrait, ce sont les