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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/91

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Il appert de cette réponse que M. Thiers hésitait encore à signifier à l’archevêque l’impossibilité de consentir à l’échange proposé ; il pensait peut-être trouver quelque autre moyen de le délivrer. En effet, il fit alors offrir secrètement un million 0 Cluseret pour l’amener à intercéder en faveur des otages et à préserver leur vie. Voici à cet égard des détails ignorés jusqu’à ce jour.

Dans l’intervalle qui sépara sa deuxième réponse à l’archevêque, c’est-à-dire du 22 avril au 22 mai, pendant plusieurs semaines, M. Thiers ne cessa de négocier secrètement par intermédiaires avec certains chefs de la Commune, tant pour mettre une fin plus rapide à l’insurrection que pour sauver les otages. Ce fut par l’entremise du ministre des Etats-Unis, M. Washburne, qu’un ancien colonel de la guerre de Sécession se rendit dans le cabinet de M. Barthélémy Saint-Hilaire, secrétaire général de la Présidence, et offrit de s’entendre avec le général Cluseret, délégué de la Commune — à la Guerre. Cluseret, dont on sait la carrière aventureuse, — qui avait combattu comme chef de bataillon de mobiles en 1848 et avait été décoré pour sa vaillance aux journées de Juin, — avait plus tard offert ses services aux Américains et s’était fait naturaliser citoyen des États-Unis, puis avait pris part à la révolte des Fenians en Angleterre et bravé une condamnation à mort pour venir ensuite soutenir l’insurrection de 1871. Il accepta les propositions de son ancien camarade de la guerre d’Amérique pour la délivrance des otages et se fit fort d’accomplir cet acte à la condition que voici. Un engagement formel, signé par Barthélémy Saint-Hilaire, était rédigé ainsi qu’il suit : « Il sera remis par le représentant de la Banque de France à Boulogne-sur-Mer la somme de un million à M. Cluseret porteur du présent. » Cet engagement, le colonel américain le montra en 1882 à M. Ed. Bonnal, archiviste en chef de la Guerre, qui me l’a certifié par écrit. L’intéressé devait être rejoint en cours de route et présentée destination au mandataire officiel, qui avait reçu mission d’acquitter l’engagement que j’ai cité. Le papier devait être remis à jour fixe à Cluseret dans la sacristie de Sainte-Clotilde, église située en face du ministère de la Guerre. Le jour arrivé, le 1er mai, le délégué à la Guerre, qui était devenu suspect à la Commune par suite de l’abandon du fort d’Issy, fut incarcéré à Mazas (cellule 62), et l’affaire échoua. « Il paraît, a pu dire un témoin de ces tristes