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ce pays du Valois, rude, énergique, sauvage, nourricier et inspirateur de race âpre, volontaire et héroïque. Et cela est bien brossé. Mais que cela prouve quelque chose, on en doute, quand on sait quels êtres différens produit et nourrit un même pays ; et il faut bien croire qu’il ne prouve rien, puisque M. Masson-Forestier lui-même, après nous avoir montré la Ferté-Milon comme pays sauvage et héroïque, nous dira : « Racine a pris le parti que lui conseillait son intérêt, le parti qu’imposaient à ce traditionaliste les immuables traditions de sa race. Ses enfans firent exactement de leur côté ce qu’eût fait tout bon Milonais à leur place… Louis entra dans une charge après avoir réussi le mariage richissime. Très Milonais tout cela. » Alors la Ferté-Milon est une sauvage nourricière de héros qui ne met au jour que des pieds-plats ! Il faudrait concilier. Ne nous en chargeons pas ; mais disons que, neuf fois sur dix, ces considérations sur la race et le milieu aboutissant à des conclusions très vagues, sont merveilleusement contradictoires. Je reconnais quelles sont intéressantes en soi. Je le crois bien, comme un beau voyage. Qu’un voyage n’ait pas de but, cela n’empêche point qu’il soit beau. Seulement, il ne faudrait pas qu’il crût qu’il en a un.

Laissons cette partie de l’ouvrage, qui du reste est de beaucoup la plus distinguée. Comment, à le considérer lui-même, l’auteur prouve-t-il que Racine ait été soit un tigre, soit un renard ?

Par des démonstrations comme celles-ci. Diderot a dit de Racine : « Celui-là certes avait du génie, mais ne passait pas pour un trop bon homme… Lequel préféreriez-vous que Racine eût été bon homme, honnête commerçant, etc., ou qu’il eût été fourbe, traître, envieux, méchant, mais auteur d’Andromaque, de Britannicus ?… Cet homme n’a été bon que pour des inconnus et que pour le temps où il n’était plus. D’accord, mais dans mille ans, il sera l’admiration de toute la terre. » Je ne dis point du tout que ce mot de Diderot soit favorable au caractère de Racine. Mais M. Masson-Forestier en conclut « qu’à Diderot la loyauté, l’honnêteté, la bonté de Racine semblaient au-dessous de tout. » Et c’est lui qui souligne au-dessous de tout. Voilà des conclusions hardies. Puis, l’imagination de M. Forestier se mettant en branle, il se demande comment Diderot a pu savoir que Racine était un malhonnête homme, et il suit ainsi son idée : Diderot allait à Langres, son pays ; il y connaissait les