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Il [ce portrait] contient peut-être une révolution dans Racine. » Je suis stupéfait ; car, d’une part, je n’ai vu jamais dans le Racine de De Troy trace d’une révolution qui se serait faite en Racine ; et, d’autre part, j’ai l’habitude d’écrire et même de parler une langue plus rapprochée du français. Je demeure donc stupide. Mais voilà que je retrouve ma phrase. C’était une ligne d’une lettre écrite par moi à M. Masson-Forestier. Je la retrouve dans un article de journal que M. Masson-Forestier m’envoie et quelle est-elle ? « Je crois, en effet, qu’il y a une révolution littéraire contenue dans vos idées sur Racine, et je serais heureux d’examiner le résultat de vos efforts qui ne sauraient être qu’intéressans. » Ce que je disais des idées de M. Masson-Forestier, M. Masson-Forestier me le fait dire du portrait de De Troy. Voyez-vous l’instrument de transposition qu’est le cerveau de M. Masson-Forestier ? Eh bien ! voulez-vous gager ? Je gage que M. Masson-Forestier dira que « c’est la même chose. » Mais ne musons plus.

Donc, M. Masson-Forestier a prouvé par tous les moyens que nous venons d’indiquer que Racine est, soit un bandit, soit un plat bourgeois. Mais pourquoi tient-il tant à le prouver ? D’abord parce que c’est la vérité qui lui est apparue ; ensuite et surtout parce que Racine ainsi est bien plus beau et sera bien plus aimé. Voilà l’inspiration intime de tout ce que M. Masson-Forestier a écrit sur Racine et voilà l’âme même du livre : « Pourquoi n’aurions-nous pas le courage de scruter l’âme de Racine ? Eût-il été un scélérat, qu’est-ce que cela ferait ? Criminel ? Mais Benvenuto Cellini l’était foncièrement, nous en sommes sûrs maintenant. Est-ce que ses bronzes en sont moins splendides ? Est-ce que son être intime en devient soudain moins séduisant ? » — « Racine, mais j’entends qu’on l’aime plus encore ! Car enfin qu’il ait été vertueux comme on le racontait, cela, n’est-ce pas, jetait un froid ; cela l’éloignait de nous, qui, de vertu, n’avons trace. Racine, avec des défauts terribles, orgueilleux, provocans, Racine paraissant tout de même un saint, c’est la férocité touchante, l’immoralité édifiante. Et cela, comme c’est savoureux ! » — « Eh bien ! ce Racine que les Orientaux se sont mis à adorer quand ils eurent réussi à le pénétrer [j’ignorais], ce Racine amoral parfait, égoïste intégral, je veux qu’on l’admire plus-encore. C’est l’amoralité qui donne seule la perfection esthétique, car, — pas de doute possible, — les plus merveilleuses