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créations de l’esprit humain ont toutes été d’une amoralité absolue, effrayante. Nous n’admirons vraiment que des êtres qui nous font peur… Alors n’ayez crainte ! Si je réussis à faire accepter le Racine que je vois, on l’admirera plus passionnément encore. »

Tel est le secret du fanatisme de M. Masson-Forestier pour Racine ; car ce livre, qu’on dirait d’abord être un factum furieux contre Racine, est une apothéose de Racine ; seulement, c’est une apothéose par admiration des vices, au lieu de l’être par considération des qualités ; et de là vient que l’apologiste, entraîné par l’attrait de son objet, a vu dans Racine un peu plus de vices qu’il n’y en avait. Comme ce que Bouvard et Pécuchet goûtaient le plus dans les Tragiques c’étaient « les maximes de perversité, » de même M. Masson-Forestier goûte au-delà de tout la perversité de l’auteur lui-même et ne trouve jamais qu’il y en ait assez. Selon le goût des lecteurs, et ici ce c’est pas à moi de parler, la criminalité de Racine sera une raison de l’aimer moins ou de ne l’aimer ni plus ni moins, ou, comme l’espère M. Masson-Forestier, de l’adorer davantage.

Ce qu’on peut me demander cependant, et ici j’aurais tort de me dérober, c’est ce que je pense personnellement du caractère de Racine.

Moi, mon Dieu, très probablement je me trompe ; mais je le trouve très simple, extrêmement simple. Racine naît à la Ferté-Milon, dans le Valois qui est un pays qui ressemble parfaitement au pays moyen de France et de ceci il n’y a rien à conclure.

Il est de deux familles, dont l’une est un peu plus âpre au gain et l’autre est un peu plus molle, et qui sont aussi plates l’une que l’autre, et de ceci il n’y a rien à conclure.

Orphelin de bonne heure, il n’est pas élevé et il fait ses premières études jusqu’à seize ans dans un très bon collège et ses secondes études, de seize à dix-neuf ans, à Port-Royal. Port-Royal n’a aucune influence immédiate sur lui. (Ici M. Masson a parfaitement raison.)

Il a vingt ans. Il n’a aucun sens moral ou un très faible sens moral, comme les quatre cinquièmes de l’humanité. Il est très artiste, il aime les jardins, les belles eaux, la verdure, les beaux couchers de soleil, les poètes antiques et les beaux vers.

Il a, comme tous les jeunes gens, le goût de la gloire et le goût de parvenir, qui ne sont pas du tout le même goût, mais