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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/927

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renfermer de nouveau, dans les coffres, les parchemins jaunis de feu sir William, les laissant éparpillés au hasard sur le plancher de la Chambre de Provisions, — une vaste salle désormais hors d’usage, au-dessus de l’un des portails de l’église, — jusqu’au jour où le père de Thomas Chatterton, une trentaine d’années plus tard, s’était avisé de recueillir ces respectables reliques, sauf pour lui à n’en point tirer d’autre parti, de son vivant, que de les utiliser à recouvrir les livres de classe de ses élèves. Puis, un jour, son jeune fils avait jeté les yeux sur le texte, très suffisamment compréhensible pour lui, de ces parchemins, et la relation de l’ouverture du Vieux Pont, comme je l’ai dit, ne constituait encore qu’un faible échantillon de l’intérêt historique et littéraire des documens de toute nature qu’il affirmait avoir eu la surprise d’y découvrir.


Inutile d’ajouter que, dès le lendemain, tout le petit monde des lettrés ou savans de Bristol fut instruit des surprenantes révélations de l’apprenti greffier. Il n’aurait fallu en vérité, à ces braves gens, qu’une dose élémentaire de compétence philologique pour discerner la parfaite impossibilité de prétendus écrits du moyen âge dont la langue abondait, tout ensemble, en expressions d’une date ultérieure et en d’autres expressions qu’aucune période de l’histoire nationale n’avait employées. Trop évidemment, l’inépuisable série des poèmes, tragédies, relations en prose, arbres généalogiques, etc., exhumés par Thomas Chatterton, — assurait-il, — parmi les parchemins des coffres de sir William, tout cela ne pouvait être sorti que de l’imagination audacieuse d’un homme de lettres du XVIIIe siècle, et doué d’un talent naturel fort au-dessus de sa science : car si le langage de ces soi-disant manuscrits anciens, présentés pour la plupart comme l’œuvre d’un poète local du XVe siècle, fourmillait des plus folles invraisemblances linguistiques et grammaticales, jamais encore à coup sûr, depuis le temps de Shakspeare, les lettres anglaises n’avaient vu jaillir une poésie d’une beauté aussi riche et aussi profonde, avec un tel déploiement continu de somptueuses images, et traduites en un flot aussi pur de syllabes chantantes. Un faussaire de génie, c’est là ce qu’aurait dû apparaitre, dès le premier jour, le petit Thomas Chatterton aux « érudits » de Bristol qui, moyennant deux ou trois shillings, — et le plus souvent non payés, — achetaient au jeune garçon des parchemins établissant l’antique origine seigneuriale de leur famille, ou bien contenant quelquefois des tragédies entières de l’espèce de cet admirable Ælla que d’excellens juges tiennent aujourd’hui pour