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Chevaliers de Bristol, et il y eut un grand feu de joie, la nuit, sur les hauteurs de Kinwulph.


Une copie manuscrite de ce précieux document avait été déposée au bureau du journal, l’avant-veille, par un jeune garçon d’une quinzaine d’années, sans doute un commissionnaire ; et en tête de la copie se lisait, de la même main, le billet que voici :


MONSIEUR L’IMPRIMEUR, — La description suivante du premier passage du Maire sur le Vieux Pont, extraite d’un manuscrit ancien, aura peut-être de quoi intéresser la masse de vos lecteurs.

Votre respectueux serviteur

DUNHELMUS BRISTOLIENSIS.


On comprendra sans peine que, se produisant dans ces circonstances quelque peu mystérieuses, la publication d’un morceau tel que celui-là ait vivement piqué la curiosité des « intellectuels » de l’endroit. Sur leur prière, le directeur du Farley’s Journal se livra à une petite enquête, et ne tarda pas à retrouver le jeune garçon qui avait apporté le manuscrit. C’était un certain Chatterton, fils d’une pauvre veuve dont le mari avait autrefois dirigé une école primaire dépendant de la paroisse de Notre-Dame. Malgré l’apparence étrangement enfantine que lui donnaient (et allaient lui conserver jusqu’au bout) sa taille trop courte, son visage imberbe entouré de longs cheveux bouclés, et la disproportion d’une tête trop grosse avec des membres d’une exiguïté anormale, Thomas Chatterton avait déjà presque achevé sa seizième année, et, depuis plus d’un an, servait en qualité d’apprenti chez un des principaux greffiers de Bristol. Pressé de questions sur la provenance d’un document dont personne ne le croyait en état d’apprécier la valeur, longtemps son orgueil offensé l’empêcha de répondre ; mais force lui fut enfin d’avouer que c’était lui-même qui avait découvert et copié la mémorable relation du « premier passage du Maire sur le Vieux Pont. » Il avait trouvé celle-ci, — avec une quantité d’autres pièces infiniment plus intéressantes encore en toute façon, — parmi la masse de parchemins dédaignés que son père, jadis, avait emportés de la « Chambre de Provisions » de l’église Notre-Dame. Car le fait est que l’un des plus illustres maires et bienfaiteurs de la ville de Bristol, sir William Canynge, avait légué au chapitre de cette église, il y avait trois siècles, plusieurs coffres tout remplis de documens divers ; et en 1727, les autorités de l’église, ayant procédé à l’examen du contenu de ces coffres, l’avaient jugé à la fois si indéchiffrable et de si mince portée qu’elles avaient même négligé de