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forme, et savait gré à M. Briand d’user de temporisation et d’adresse pour éloigner de ses lèvres un calice qu’il serait temps de boire après les élections, s’il était impossible de faire autrement. Les partisans de la réforme ne s’opposaient pas à ces manœuvres avec une grande énergie. Par une sorte de consentement général, tout le monde convenait que la représentation proportionnelle devait être la question électorale par excellence : quand le pays aurait prononcé, s’il l’avait fait clairement et nettement, il n’y aurait plus qu’à s’incliner. Le pays s’est-il prononcé avec clarté et netteté ? Oui, certes. Rarement sa pensée, sa volonté se sont dégagées des élections mieux qu’en cette circonstance. Le lendemain du scrutin, les proportionnalistes ont donc cru qu’ils avaient cause gagnée ; mais le surlendemain ils se sont aperçus que leur victoire, quelque éclatante qu’elle eût été, n’était pas encore définitive. Leurs adversaires n’avaient nullement désarmé. Ils l’ont montré par la manœuvre d’ailleurs assez puérile par laquelle ils ont disputé à M. Charles Benoist la présidence de la Commission nouvelle pour l’attribuer à M. Ferdinand Buisson. Remarquez que M. Buisson est pour la proportionnelle tout autant que M. Benoist ; mais enfin il n’est pas M. Benoist, il n’est pas l’initiateur de la réforme, il déplaît moins que lui. Son élection montre deux choses, l’impuissance des anti-proportionnalistes qui n’ont pu faire échec à M. Charles Benoist qu’avec un autre partisan de la réforme, et la persistance de leur mauvaise humeur. Ce dernier sentiment était chez eux très vivace et toujours prêt à l’agression. Qu’en résulterait-il ? Peu de chose sans doute, mais il restait à savoir quel était l’état d’esprit de M. Briand.

Pouvait-il être le même après les élections qu’avant ? Non sans doute ; M. Briand a trop de perspicacité pour n’avoir pas compris que le pays attendait, désirait, voulait la proportionnelle et qu’il n’accorderait définitivement sa confiance qu’à l’homme qui la lui promettrait, ou plutôt la lui donnerait. Il est trop avisé pour n’avoir pas senti que sa force personnelle était dans le pays plutôt que dans la Chambre, et que s’il perdait jamais la confiance du premier, il ne conserverait pas longtemps celle que la seconde ne cessait de lui marchander. On s’attendait, en conséquence, à le voir entrer résolument dans les voies de la proportionnelle et la surprise a été grande lorsqu’on a constaté qu’il n’en était pas tout à fait ainsi. M. Briand reconnaît la nécessité d’une réforme ; il la reconnaissait d’ailleurs avant les élections ; mais il y a réforme et réforme, et la sienne n’est pas celle qui a été exposée au pays aux élections dernières et sur laquelle il s’est