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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/962

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grève, on s’est félicité en secret que le Parlement ne fût pas réuni. On a mieux aimé entendre les discours de M. Jaurès après que pendant la grève. Désormais, si les cheminots ont la patience d’attendre que leurs revendications soient soumises aux Chambres, ils seront toujours assurés de voir toute la série des « conférences » se terminer par une discussion parlementaire. A la vérité, cette patience, ils ne l’auront pas, et l’inutilité de toute cette chinoiserie, si laborieusement hiérarchisée, pourrait, dans une certaine mesure, faire illusion sur son danger. Les ouvriers ont l’habitude de procéder par un Sic volo, sic jubeo ! immédiat et de se mettre en grève au moment où on s’y attend le moins et où la suspension du travail peut faire le plus de mal. S’imagine-t-on les arrêter au moyen d’une procédure qui durerait des mois ?

Quand même on y réussirait une fois par hasard, le moyen serait détestable parce qu’il est le renversement de tous les principes sur lesquels reposent les contrats. Il y en a un, avons-nous dit, entre les Compagnies et leurs ouvriers. S’il était onéreux pour ces derniers, comment expliquerait-on que, pour une place vacante dans les services des chemins de fer, vingt candidats se présentent et mettent en mouvement afin de l’obtenir toutes les influences dont ils peuvent disposer ? Tout le monde sait bien que la situation des cheminots est une des meilleures, sinon la meilleure qui existe dans le monde du travail, et que les Compagnies n’ont attendu aucune suggestion du dehors pour s’appliquer à la rendre telle : les candidats cheminots le savent mieux que personne. Mais là n’est pas la question. Nous le répétons, il y a un contrat : si l’une des parties y manque, les tribunaux sont là pour l’y rappeler. A quoi bon tous ces comités de conciliation et d’arbitrage qui, finalement, aboutissent à des assemblées politiques, aussi éloignées que possible de la sérénité de jugement qu’on peut attendre d’un tribunal indépendant ? Le jour où on aura créé le précédent redoutable de comités et, ce qui serait déjà une prodigieuse confusion, d’un parlement appelé, non pas même à interpréter un contrat, mais à le renouveler, à le corriger, à le refaire, la sécurité de nos industries sera compromise. Certes, nous sommes partisans de l’arbitrage et nous souhaitons qu’on y ait recours le plus souvent possible, mais qui dit arbitrage dit liberté pour les parties d’y recourir ou de n’y pas recourir, de lui soumettre avec précision la question qu’elles veulent et de choisir sur l’heure même les arbitres qui leur conviennent. Les mots d’arbitrage obligatoire, ce substantif et ce qualificatif, sont la contradiction l’un de l’autre : on viole la langue