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Napoléon III[1]. Avant même d’avoir ainsi confessé publiquement sa dette, il avait écrit à l’Empereur pour le remercier. Beust, dans un rapport officiel à l’empereur d’Autriche, raconte le propos suivant de l’empereur Guillaume à Gastein en 1871 : « Un mot de Sa Majesté qui me sembla intéressant est que la France avait consommé sa ruine dès 1866, attendu que Napoléon pouvait et devait attaquer l’armée prussienne par derrière. En 1866, le roi de Prusse ne voulait pas croire à la neutralité de le France, et ce ne fut qu’après une longue résistance qu’il consentit à dégarnir la province rhénane. Aussi a-t-il toujours conservé beaucoup de reconnaissance à l’empereur Napoléon.  »

Il est vrai qu’après Sadowa, Bismarck a continué son rôle de tentateur pour acheter de l’Empereur la liberté de s’annexer des territoires allemands. Il est vrai que cette fois, anéanti par la maladie, entraîné par de détestables conseillers, espérant masquer aux yeux de l’opinion une faute irréparable et retarder l’heure de la liberté, l’Empereur a succombé à la tentation et réclamé un salaire pour des complaisances qu’il n’aurait pas dû avoir, et son ambassadeur a pris soin d’en laisser le procès-verbal écrit entre les mains de Bismarck qui, lui, n’a pas commis la sottise de nous fournir la preuve de ses sollicitations. Mais Bismarck n’a pu rester dans le vrai et il a mis un mensonge à côté d’un document d’une irrécusable authenticité. « Ce projet de traité, a-t-il dit, se place après l’affaire du Luxembourg.  » On comprend le motif de la transposition : placé à sa date, à la mi-août 1866, c’était un fait accidentel qui ne se prolongeait pas jusqu’en 1870 et n’avait aucun rapport avec la guerre ; placé après l’arrangement du Luxembourg, il indiquait l’aveuglement d’une passion chronique dont on pouvait supposer l’influence agissante encore en 1870. La lecture du projet démontre la supercherie : il y

  1. « Dans la lutte ultérieure avec l’Autriche, lutte qui menaçait dès 1855 et qui éclata en 1866, la France très certainement n’eût pas continué de se tenir sur la réserve jusqu’au moment où, très heureusement pour nous, elle s’y est effectivement tenue, si nos relations avec cette puissance n’avaient été cultivées par moi autant que possible. Nous devions cela à des rapports bienveillans avec l’empereur Napoléon, qui préférait, quant à lui, des traités avec la Prusse ; il ne comptait pas à la vérité, que la guerre de 1866 prendrait la tournure qu’elle a prise ; il comptait que nous serions battus et qu’ensuite, il nous protégerait, mais non pas tout à fait gratuitement. Toujours est-il qu’à mon sens, c’est politiquement un bonheur que jusqu’à la bataille de Sadowa, jusqu’au moment où il fut désabusé sur la force militaire des deux parties, l’Empereur Napoléon soit resté bienveillant pour nous et personnellement surtout bienveillant à mon égard.  » (20 février 1879.)