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inopportuns. Mais avec Rovetta, nous sommes loin de compte. Son style est d’une facilité presque banale ; son vocabulaire est celui que nous employons tous les jours. Même à un étranger, ses phrases donnent l’impression d’avoir été déjà entendues. En Italie, les puristes ne lui ont pas ménagé les reproches. Il n’appartient pas à la race des ciseleurs dont l’art rehausse la matière ; il n’a pas assez bien écrit pour avoir le droit de ne pas penser.

Passons encore sur ceci. Mais à supposer qu’on exclue délibérément toute métaphysique et toute morale, on n’a pas le droit de réduire la psychologie à la vie extérieure. La difficulté consiste précisément à rendre les phénomènes secrets de notre conscience aussi visibles, aussi palpables presque que les objets matériels. Si on ne réussit pas à introduire le lecteur dans l’âme du sujet qu’on observe, on n’a rien fait. Je loue l’auteur qui note d’abord avec soin l’apparence des choses : au moins ne fera-t-il pas comme ces peintres de paravens, qui placent leurs personnages en l’air, faute de perspective. Puis j’attends. Si rien ne vient, je suis déçu ; j’estime qu’on m’avait promis de me faire voir des spectacles curieux et inconnus, qui se déroulent dans un monde où je n’ai pas accès d’ordinaire, et que j’ai été frustré. Si, continuant mon observation, je constate que l’étude de l’âme est toujours remplacée par les mouvemens qu’elle provoque au dehors, je suis forcé de conclure à une incapacité, que nulle autre qualité ne me fera oublier. Plus j’aurai loué l’art qui a présidé au choix du décor, à l’agencement des figures, aux mouvemens et aux gestes : plus je regretterai que les caractères, que je soupçonne d’être autrement riches et variés, ne soient pas rendus avec un égal talent.

J’entre derrière Pietro Laner, le villageois qui est venu chercher la fortune littéraire et l’amour à Milan, et qui est maintenant ruiné, humilié, bafoué, et trompé par sa fiancée, dans l’église où il va chercher un refuge auprès de Dieu.


Au fond de l’église brillait un petit autel : une Madone, dans une grande cage de verre, avec un habit de velours jaune tout parsemé de gemmes. Tous les cierges du petit autel étaient allumés ; les colonnes, les parois, étaient couvertes d’ex-voto, de cœurs d’argent, de béquilles, de jambes de bois, de bras…

« C’est là que je dois aller prier si je veux obtenir quelque chose, pensa Pietro Laner, et si le sacristain me voit, ce sera ma pénitence pour mériter ma grâce ! »