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l’histoire de la collection Chauchard. Pendant bien des années, interdite au public, elle eut le prestige du mystère. Toutefois, si fermée qu’elle fût, elle n’en était pas moins un peu ouverte, car au rebours d’une porte, il faut toujours qu’une collection ne soit jamais ni ouverte, — sans quoi, tout le monde la visitant, l’accès en perdrait toute sa valeur, — ni fermée, — sans quoi, personne ne la voyant, nul ne dirait qu’elle en a. Quelques initiés revenaient donc parfois d’une excursion à ce palais enchanté. Ils en propageaient des descriptions fabuleuses. Il y avait, là, les chefs-d’œuvre de la peinture française au XIXe siècle, des toiles qui avaient été payées plus d’un demi-million. La foule obscure, réduite aux galeries du Louvre, ne pouvait prétendre se faire une idée de l’école française. Dans la collection Chauchard seulement on éprouvait les ivresses d’un orgueil national. On les éprouvait deux fois quand on songeait aux enchères victorieuses qui avaient conservé ces trésors à la patrie. L’homme qui avait pu dire si souvent les mots fatidiques, les mots de Nieuwerkerke : « A la France, Messieurs ! » méritait une reconnaissance éternelle.

Celui-ci étant mort, et sa collection passée aux mains de l’Etat, sans devenir tout de suite publique, d’autres explorateurs en revinrent avec des nouvelles toutes différentes. C’était un ramassis d’horreurs ! La plupart des tableaux signés de grands maîtres étaient faux. Ceux qui n’étaient pas faux étaient repeints. Ceux qui n’étaient ni faux, ni repeints, étaient des erreurs de ces maîtres, faits pour la vente aux Canaques et pour l’exportation, à quoi on avait eu grand tort de les soustraire. L’ensemble était à ce point lamentable qu’on n’osait point en faire état pour le Louvre et qu’on reculait, de jour en jour, l’heure de le montrer. En sorte que la grande foule de ceux qui ne sont pas admis dans ces régions interdites qu’on nomme les « Collections privées » demeurait perplexe et un peu ébaubie que des choses si merveilleuses et qui avaient coûté si cher pussent inspirer, à des augures également considérables, des arrêts à la fois si tranchans et si opposés.

Enfin le jour est venu où il a bien fallu les montrer. Le simple curieux d’art, le rêveur, l’homme qui passe dans la rue, a eu la permission d’y pénétrer et d’en juger par lui-même. La foule en a largement profité. Un peuple entier a circulé dans ces étroites salles, mis en marche par les récits fabuleux, les