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s’approcher de Jehanne. Il n’avait aucun titre à le faire. C’est au moment du tumulte, sur un signe fait évidemment par Cauchon, qu’il exécute la mission qu’il en avait reçue, monte précipitamment sur l’estrade et veut forcer Jehanne à signer. Ce seul acte indique qu’il n’ignorait nullement que Jehanne savait signer puisqu’il voulait de force lui faire tracer son nom. Le fait était de notoriété publique : la signature de Jehanne était vraisemblablement connue.

Il y a tout lieu de croire que la pièce apportée par Calot était l’abjuration dont plus tard se servit Cauchon pour la faire condamner comme relapse, pièce que ne virent jamais ni les juges, ni les greffiers et dont on trouve seulement une copie jointe au procès sur laquelle fut inscrit : « Jehanne + ; » mais jamais on ne connut l’original.

Aucun des témoins les plus rapprochés ne relate les soi-disant paroles de Jehanne : « Je ne sais ni lire ni signer. » Ni Manchon, le principal greffier, ni Guillaume Colles, ni Massieu ; tous trois sur l’estrade près de Jehanne ne les ont entendues. Sur les trente-cinq témoins appelés au procès de réhabilitation, Aymond de Macy est le seul à rapporter ces paroles. Tout fait ressortir qu’il n’est que l’écho d’un mensonge habilement répandu par Laurent Calot, sur l’ordre de Cauchon.

Le second témoignage dont il faut nous occuper est celui de Massieu. Jean Massieu nous dit que, chargé par Erard d’expliquer à Jehanne la cédule, elle lui aurait répondu : « Je ne sais pas signer. » A peine quelques instans s’écoulent, le même Massieu prétend que Jehanne lui aurait dit : « J’aime mieux signer que d’être brûlée. » Les deux déclarations se contredisent. L’une ou l’autre est fausse : nous allons voir qu’elles le sont toutes deux.

Qui donc était ce Massieu ? Un homme d’une inconduite notoire, à tel point qu’à une époque où l’on n’était pas sévère pour la moralité, même à l’égard des prêtres, le scandale de sa vie était si grand qu’il fut relevé de son titre de doyen de la chrétienté ; à plusieurs reprises, le chapitre ou l’officialité durent lui adresser des admonestations sur ses mœurs scandaleuses. Lors de la première enquête de 1450, Massieu était alors curé de la paroisse Saint-Candé-le-Vieux à Rouen, il se dit âgé de cinquante ans ; appelé de nouveau en 1452, il se donne cinquante-cinq ans, et en 1456, à sa troisième déposition, il n’a