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mondain raffiné sait, quand le devoir commande, secouer cette tyrannie : la peur du ridicule. Il l’a bien prouvé dans sa préface du Disciple… Enfin, si vous passez son œuvre en revue, si vous considérez l’austérité de quelques-uns de ses sujets, la probité scrupuleuse de l’exécution, l’effort continuel vers quelque chose de nouveau,… vous sentirez peut-être ce que tout cela suppose de volonté et d’énergie patiente.

« Oui, vous dis-je, Bourget est un Auvergnat, — comme Pascal. Il a d’abord le nez, il a le menton volontaire, le menton romain des hommes de sa province… Pourtant, ma cousine, je ne voudrais pas le faire plus Auvergnat qu’il n’est, et je tiens à vous dire que sa force est très enveloppée de grâce. Le poète des Aveux… a une extrême gentillesse de façons, beaucoup d’esprit…, et, dans sa voix imperceptiblement et joliment nasillarde, quelque chose de doux, de caressant, et, volontiers, d’un peu plaintif. Ajoutez une sensibilité excessive, un besoin de bienveillance autour de lui, un art merveilleux et déplorable de se faire souffrir avec rien ou pas grand’chose… Disons donc, si vous le voulez bien, qu’il a, avec une intelligence et une volonté viriles, des nerfs un peu féminins. C’est là une combinaison très distinguée.

« Mais, je vous le répète, pas du tout « romancier des dames ! » Un peu « esthète, » oui, c’est ce que je puis vous accorder. Au fond, un montagnard pensif. Parfaitement[1] ! »


On a reconnu là le style exquis, la finesse aiguë d’observation, et le sourire de M. Jules Lemaître, dans l’un de ses plus jolis « billets du matin. » Et l’on pensera sans doute que le romancier de l’Étape ne saurait mieux nous être présenté que par l’auteur des Contemporains.


I

Je suis né en 1852, — nous dit M. Bourget lui-même, — d’une famille qui me semble représenter assez bien quelques-unes des conditions de la bourgeoisie française contemporaine. Mon père était un fonctionnaire de l’État et le fils d’un ingénieur civil, lui-même fils d’un cultivateur de campagne. Les uns et les autres venaient d’une province du centre de la France. Mais le métier de mon père, — il était professeur de

  1. Jules Lemaître, les Contemporains, t. V, p. 227-229.