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maturité de talent qui tout de suite forceront l’attention du public.

L’Irréparable est moins un vrai roman qu’une longue nouvelle, une « étude de jeune fille, » comme l’a intitulée l’auteur : c’est l’histoire, assez hardie de fond et de forme, de la séduction par un viveur sans scrupule d’une jeune fille du grand monde. Elle fut bientôt suivie d’une autre longue nouvelle, une « étude de femme, » celle-là, intitulée Deuxième amour. Le succès de ces deux récits, qui parurent en librairie au début de 1884, près de deux années avant l’achèvement des Nouveaux Essais de psychologie, semble avoir été assez vif. Encouragé par l’accueil du public, M. Bourget redoubla. Cruelle Énigme parut dans les premiers mois de 1885 : ce furent ses véritables débuts de vrai romancier. Brunetière ici même associait l’œuvre nouvelle à Une vie de Maupassant, qui venait aussi de paraître, dans un article, au total fort élogieux, sur le Pessimisme dans le Roman[1]. L’année suivante paraissait Un crime d’amour, qui valut à M. Bourget, avec quelques critiques assez vives, une amende honorable publique d’Edmond Scherer[2]. Le jeune écrivain était désormais consacré et classé comme romancier. Sans renoncer à la critique sous ses différentes formes, ni même entièrement à la poésie, et en cultivant volontiers aussi le genre de la nouvelle, le roman devient dès lors, vingt ans durant, sa grande affaire. D’année en année se succèdent les œuvres, et les succès. C’est André Cornélis ; c’est Mensonges ; c’est le Disciple. Les polémiques s’engagent sur son nom. Au poète méconnu d’Edel, au critique parfois discuté des Essais de psychologie, la haute notoriété est venue. En cinq ou six ans, il s’est affirmé l’un des maîtres du roman contemporain. Un roman d’analyse qui soit en même temps une œuvre morale et une œuvre d’art : telle est la conception que M. Bourget, le plus conscient et le plus volontaire peut-être des artistes de notre temps, s’est délibérément formée de son œuvre de romancier. Comment, dans ses premiers romans, l’a-t-il réalisée ? Comment a-t-il réussi à y fondre ensemble ces trois élémens qu’il se proposait de combiner en des proportions harmonieuses : la psychologie, la morale et l’art ?

  1. Revue des Deux Mondes du 1er juillet 1885.
  2. Edmond Scherer, Études sur la littérature contemporaine, t. X, Un crime d’amour de M. Bourget ; — cf. dans le même volume son article, un peu maigre et insuffisant, sur André Cornélis.