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qu’une chose, ajoute-t-il, c’est que le goût a changé, que ma génération est finie, et je me renfonce dans mon trou de Savoie. Peut-être la voie que vous prenez, votre idée de l’inconnaissable, d’un au-delà, d’un noumène, vous conduira-t-elle vers un port mystique, vers une forme de christianisme… » Il a raison, le pauvre grand homme ! Le Disciple marque le moment précis où la génération à laquelle appartient M. Bourget se détache de la génération précédente. À cette génération nouvelle, le livre a donné conscience d’elle-même. Il a dressé en face l’un de l’autre M. France et Ferdinand Brunetière : à l’un, suivant le mot si juste de M. Jules Lemaître, il a « fait sortir tout le XVIIIe siècle qu’il avait dans le sang ; » chez l’autre il a fait surgir le chrétien de désir qui s’est développé depuis. A toute une jeunesse qui, nourrie de Renan et de Taine, et qui, mêlant le stoïcisme de l’un et l’épicurisme de l’autre, s’orientait, sans bien le savoir, vers un dangereux dilettantisme, il a fait entendre un bienfaisant cri d’alarme ; il lui a révélé le sérieux de la pensée, le prix de l’action, le sens infiniment grave de la vie. Et comme une bonne action n’est jamais perdue, il engageait son auteur dans une voie où il devait trouver l’inspiration de nouveaux chefs-d’œuvre.


VICTOR GIRAUD.