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figure quelquefois insignifiante est le plus souvent hideuse. Ils sont petits et malingres. Ce sont souvent des infantiles. Est-ce la faute de l’alcool (ou cachaxa) comme on le suppose en général ? Évidemment oui ; on n’absorbe pas impunément un litre ou un litre et demi de rhum par jour. Cette raison n’est pourtant pas la seule. Nous avons vu deux enfans, les seuls qui aient échappé au massacre complet d’une tribu absolument sauvage, habitant le haut Rio Branco. Ils n’étaient ni alcooliques, ni fils d’alcooliques, et cependant l’un et l’autre présentaient un faciès remarquable de dégénéré. Comme les Indiens de l’Amérique du Nord, ceux de l’Amérique du Sud appartiennent à la race jaune, et, n’était la couleur de leur peau, on aurait pu les confondre avec les Annamites, les Chinois du Sud, et surtout les Esquimaux ; même face huileuse et aplatie, mêmes yeux bridés et mêmes pommettes saillantes. D’ailleurs, ils disparaissent ; de jour en jour ils reculent devant la civilisation ; ceux qui fréquentent les blancs sont rapidement fauchés par l’alcoolisme ou la tuberculose. Leur mentalité est inférieure ; ils doivent donc être considérés et de fait sont considérés comme des mineurs[1].

En même temps que les Indiens disparaissaient, les blancs arrivaient, les seringueiros d’abord, puis les employés de factorerie, les négocians et les ingénieurs. En 1850, Para était déjà une ville importante, quoique ravagée par la fièvre jaune. Mais Manaos, appelée à ce moment Barra du nom de la tribu des « Barrès, » qui occupait son territoire, n’était qu’un gros bourg de 5 000 habitans peuplé d’Indiens, de quelques blancs et de mulâtres, demi-indiens par leurs mères, demi-ingénieurs par leurs pères.

À l’heure actuelle, Para a près de 100 000 habitans, Manaos en a 50 000, sans compter la population flottante de 30 000 âmes. Par elle-même cette dernière ville n’est pas très pittoresque sauf le marché aux tortues. Ce qu’il y a de plus curieux, ce sont les magnifiques urubus ou vautours qui planent par centaine au-dessus de la cité. Le matin ils descendent sur la ville, et de

  1. On a beaucoup discuté pour savoir s’il y avait dans ce pays les farouches guerrières auxquelles il doit son nom d’Amazonas. Il est probable que c’est une légende qui prit corps, on ne sait comment, parmi les premiers explorateurs. Ceux-ci voulant mieux connaître ces fameuses tribus interrogeaient tous les clans d’Indiens qu’ils rencontraient. Entendant à chaque instant les Blancs parler des femmes guerrières, les Indiens crurent à leur réalité et chez eux également la légende devint article de foi.