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bien montré, pour ne parler que des temps modernes, les opéras de Gounod, plus encore le Tristan de Wagner et, généralement, tous les chefs-d’œuvre de la musique d’amour.

Si les faits, encore une fois, sont matière peu musicale, ou « musicable, » il s’en faut pourtant que la façon, dont M. Hüe les a notés soit digne de mépris. Action extérieure et mélodramatique, « situations » et coups de théâtre, cérémonies tant inaugurales qu’expiatoires, processions, marches au supplice non moins qu’aux flambeaux, tout cela nous parut traité fort congrûment. Pas plus qu’à l’appareil et même à l’apparat scénique, la musique n’est inégale à la figuration de la foule. Elle sait animer et mouvoir les « masses. » Mais pendant un moment, — et ce moment a quelque durée, — la musique a fait davantage. Un peu, beaucoup, passionnément, elle a été de la musique d’amour. Le second acte, dans l’atelier de Loys, est un bel épisode lyrique. Qu’on ne parle plus seulement ici, comme trop souvent il faut s’y réduire, et s’y résigner, de métier, de facture, d’habileté technique ou pratique. Nous sommes devant une vertu supérieure à ces qualités, aussi communes aujourd’hui que toujours insuffisantes. Ouvrez, lecteur musicien, la partition du Miracle au début du second acte ; peut-être ne la refermerez-vous qu’à la fin. Tout d’abord vous serez sensible à la simple et pure musicalité du style, au charme discret d’un thème qui s’appuie et monte à la façon du premier motif de Tristan, bien qu’avec infiniment moins d’âpreté, de rudesse. Il y a quelque embarras dans les préliminaires du duo. Mais le duo même, et tout entier, nous paraît une chose élevée, noble, émouvante, soit par les élémens dont il est formé, soit par la composition, le développement et le progrès de l’ensemble. Un souffle chaud le soutient et le renouvelle. D’amples périodes se déduisent les unes des autres, par un procédé de déduction harmonique un peu monotone seulement. Le chant participe à la fois de la mélodie et de la mélopée, l’une se gardant de la banalité, comme l’autre du flottement et du vague. La déclamation est juste, naturelle, et si les paroles ne sont pas toujours entendues, la faute en est aux interprètes. Heureuse faute, il est vrai, quand l’amoureux sculpteur parle à son modèle ce langage :

C’est de mon étreinte,
Où mon désir mord,
Que je veux pétrir,
Argile mouvante,
La chair de ton corps.