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l’oméga Je mes convictions artistiques ! Que si cela ne vous convient pas, libre à vous de vous chercher un autre professeur !

SPITTA (toujours du même ton assuré). — Je suis d’avis que Goethe, en écrivant ses règles séniles de l’art du comédien, s’est pitoyablement mis en contradiction avec son œuvre ancienne et sa propre nature !…

HASSENREUTER. — C’est cela, mon bon Spitta, prenez votre carnet et inscrivez-y que le directeur Hassenreuter est un âne ! Un âne, Schiller, et un âne, Goethe, comme naturellement aussi Aristote, n’est-ce pas ? (Éclatant tout à coup d’un rire bruyant.) Et puis, ha ! ha, ha ! et puis aussi qu’un certain Spitta est un homme de génie !

SPITTA. — Je suis heureux de voir, monsieur le directeur, que mes réflexions ont au moins la propriété de vous égayer !

HASSENREUTER. — Non, certes, par tous les diables, je ne suis pas gai ! Vous êtes pour moi un symptôme ! Gardez-vous bien de vous figurer que vous ayez la moindre importance personnelle ! Vous êtes un rat ! Mais les rats de votre espèce sont en train de ronger le champ de notre politique, et le jardin de notre art allemand ! Ils mangent les racines de l’arbre de l’idéal ! Ils veulent traîner dans la boue la couronne sacrée ! Vous écraser du pied ; du pied, toute votre engeance ! (Kaferstein et Kegel, après avoir essayé de garder leur sérieux, se mettent à rire, et Hassenreuter lui-même finit par rire avec eux. Seul, Spitta continue à montrer une gravité immuable. Mme John descend lentement l’escalier du fond, suivie du portier.)

HASSENREUTER (le bras solennellement étendu vers la femme de ménage). — Tenez, Spitta, voici venir votre muse tragique !


L’excellent homme ne se doutait pas que son ironie serait prise au mot, et qu’en effet l’humble Mme John, sa femme de ménage, aurait un jour l’honneur de « devenir l’objet d’une tragédie, de la même façon que le roi Lear ou lady Macbeth. » C’est, en effet, l’aventure de cette pauvre femme qui remplit toute la partie « tragique » de la pièce nouvelle de M. Hauptmann, — l’aventure timidement annoncée déjà au premier acte des Rats. Mme John a décidément acheté à la servante Pauline l’enfant dont celle-ci allait accoucher. Elle avait eu elle-même un enfant, autrefois, dont la mort avait fort attristé son brave homme de mari ; et comme celui-ci, maintenant, prenait de plus en plus l’habitude d’aller travailler en province, et que sa femme en était venue à craindre qu’il ne s’avisât de partir pour l’Amérique, elle avait imaginé ce moyen de le retenir. Le début du second acte nous la fait voir exhibant orgueilleusement au maçon, revenu depuis la veille, le berceau où repose le nouveau-né ; et c’est avec une admiration mêlée de gratitude que le mari et la femme reçoivent ensuite les savantes instructions du « directeur » Hassenreuter, au sujet d’un certain biberon perfectionné dont il a daigné leur faire présent. Mais bientôt un souffle de fatalité tragique vient secouer, tout d’un coup, les