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ne pouvons, pour l’instant, que hasarder quelques conjectures et noter quelques suggestives concordances. Parmi les causes qui ont déterminé, ne disons pas cette conversion, mais cette sorte de cristallisation de tendances très réelles, mais intermittentes, et surtout un peu flottantes, il n’est point téméraire d’attribuer une part prépondérante à « cette funeste crise nationale de 1898, qui marque dès aujourd’hui une date dans l’histoire déjà séculaire de nos discordes civiles[1]. » Comme la plupart de ceux pour qui la dure expérience de l’année terrible a été une perpétuelle et vivante leçon de choses, M. Bourget a cruellement souffert dans son patriotisme des imprudences, des déclamations et des sophismes qui, à ce moment-là, ont séduit tant de bons esprits ; peut-être a-t-il réagi trop fortement contre les « nuées » où il voyait d’autres se complaire ; en tout cas, à méditer sur elles, il a, sinon découvert, tout au moins approfondi ce que l’on pourrait appeler les fondemens mystiques de l’idée de patrie. A l’école de Rivarol et surtout de Bonald[2], de M. Charles Maurras aussi, il s’est initié au « traditionalisme » politique, social et religieux ; il est devenu un fervent adepte de la doctrine, et il n’a laissé échapper aucune occasion nouvelle d’en affirmer ou d’en justifier les principes. Il devait être très tentant pour lui d’en essayer une sorte d’illustration romanesque. La tentation s’étant heureusement produite, M. Bourget y a cédé en écrivant l’Etape.

L’Étape est un chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre peut-être de M. Bourget ; et je suis d’autant plus à l’aise pour en convenir, que je suis, pour ma part, assez loin d’en épouser toutes les tendances. Mais quand la thèse que le livre enveloppe serait encore plus discutable qu’elle ne l’est, il n’en resterait pas moins vrai que l’effort d’art dont il témoigne est égal et même supérieur à tout ce que l’écrivain avait produit jusqu’alors de plus puissant et de plus accompli ; et d’autre part, jamais encore il n’avait, dans le cours d’un simple roman, posé et agité des questions d’une aussi haute et aussi grave portée. L’opinion ne s’y est pas trompée. Elle a compris qu’elle se trouvait là en présence d’un maître livre, d’un de ces livres, rares dans la vie de tout auteur, même de grand talent, qui résument et totalisent, si je puis

  1. L’Étape, édition originale, Plon, 1901, p. 114.
  2. M. Paul Bourget a publié, en collaboration avec M. Michel Salomon, un Bonald, dans la collection la Pensée chrétienne, Paris, Bloud, 1905. Il ne s’est point contenté d’écrire pour ce volume une intéressante Préface ; il a mis directement la main à la composition du recueil.