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Bourget a accumulés dans le cas, — un peu bien noir, — de la famille Monneron : ils sont « d’un autre ordre, » moins tragique, et, généralement, moins douloureux.

Mais il y a autre chose dans l’Etape qu’un drame émouvant joué par des personnages de chair et d’os, autre chose aussi qu’une thèse politico-sociale ; il y a une étude de psychologie religieuse que le reste offusque et recouvre quelquefois, mais qui n’en est pas moins, aux yeux des connaisseurs, la partie la plus neuve, la plus profonde, la plus indiscutable de l’œuvre, celle où M. Bourget a le plus largement donné sa mesure. Les pages où il décrit les hésitations, les scrupules intellectuels et moraux, les répulsions secrètes de Jean Monneron en même temps que sa sympathie croissante pour le catholicisme, et, sous l’action des épreuves de la vie, son besoin croissant aussi d’une foi véritable, et parmi les prières et les larmes qu’il verse au chevet de sa sœur blessée, son abandon complet à l’appel mystique, « sa renonciation totale et douce, » ces pages-là sont d’une beauté pénétrante, d’une lucidité d’analyse et d’une profondeur d’émotion auxquelles l’écrivain n’avait encore jamais atteint. Et j’ai tort de dire l’écrivain : c’est l’homme même qui s’y révèle. On a quelque pudeur à toucher, d’une main si légère fût-elle, à ces choses de la conscience individuelle. Mais, puisque aussi bien l’encre d’imprimerie a passé par là, il me sera bien permis de penser que M. Bourget nous livre là, — plus ou moins transposé, et encore, qui sait ? — le résultat de son « expérience religieuse ; » et je serais bien étonné aussi, que, dans la première conversation de Jean Monneron avec Ferrand, quand le jeune homme expose au philosophe tout le chemin qu’il a fait vers le catholicisme, M. Bourget ne nous révélât point, par la bouche de son héros, tout le travail de pensée qui, de proche en proche, l’a conduit lui-même jusqu’au seuil du temple. Il faut citer cette page si pleine et si forte qui, visiblement, ramasse bien des recherches et bien des méditations :


J’admets avec vous, — dit Jean Monneron, — que la Science est incapable de dépasser l’ordre des phénomènes et qu’elle se heurte, aussitôt qu’elle veut chercher le pourquoi des choses, au lieu du comment, à l’inconnaissable. J’admets que cet inconnaissable est réel, puisqu’il est à la racine de toute réalité, J’admets que, le conséquent étant enveloppé dans l’antécédent, cet inconnaissable doit posséder, virtuellement au moins, tout ce qui constitue le réel, donc, puisque nos facultés font partie du réel :