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inquiet, même sous son apparent dogmatisme, et toujours si soucieux de se renouveler, dans sa dernière incarnation littéraire, je veux dire sous la forme dramatique qu’il a essayée depuis trois ou quatre ans.

Ce n’est pas l’un des spectacles les moins intéressans de notre époque que de voir un écrivain non seulement connu et classé, mais célèbre, aborder à cinquante-cinq ans une forme d’art qui passe pour exiger un long et difficile apprentissage, une expérience consommée du « métier, » bref, un don et un « faire » assez particuliers ; il fallait même un certain courage pour jouer cette partie et pour la gagner. Je sais bien que M. Bourget a été comme sollicité du dehors à entrer dans cette voie nouvelle. Mais je serais fort étonné que ces sollicitations extérieures ne répondissent pas à certaines dispositions intimes et peut-être assez anciennes de l’auteur du Disciple. Ne sont-elles pas de lui, dans un article, daté de 1880, sur la Psychologie au théâtre, ces lignes significatives : « Un avenir admirable paraît réservé aux auteurs nouveaux qui assoupliront l’art dramatique au point d’y introduire autant d’observation que dans le roman ou dans la poésie… L’auteur du Demi-Monde n’est-il pas là pour attester que les plus hardis problèmes de psychologie personnelle et sociale peuvent être traités en pleine scène ? Seulement, trop peu de personnes travaillent aujourd’hui dans cette direction[1]… » Et n’est-ce pas là la formule même de son propre théâtre ? C’est que M. Bourget non seulement a toujours suivi de très près toute la production dramatique contemporaine, mais encore, ainsi qu’en témoignent ses trois années de feuilletons, a beaucoup réfléchi aux choses du théâtre : là encore son métier de critique lui a épargné bien des tâtonnemens et des méprises. D’autre part, il me semble que les grands dramaturges de tous les temps, à commencer par Shakspeare, — voyez telle étude de lui sur Hamlet et son André Cornélis, — ont collaboré, au moins autant que les grands romanciers, à son éducation littéraire, et je crois qu’il leur a emprunté et qu’il a transporté dans l’art du roman plus d’un de leurs procédés essentiels. Ce qui est en tout cas certain, c’est qu’il y a dans tous ses romans un élément dramatique, mélodramatique même quelquefois, — voyez l’Émigré, — qui appelait comme de

  1. Études et Portraits, t. I, édition originale, p. 328-329 (Réflexions sur le théâtre).