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hors la loi, qui vivaient comme ils pouvaient, trop souvent de brigandages. De 1850 à 1868, les ronins se comptaient par dizaines de milliers ; c’était l’armée toute prête de la Révolution.

Enfin l’isolement du Japon ne pouvait se prolonger sans en arrêter le développement matériel et moral. Au XVIe siècle, il avait ouvert ses ports aux Asiatiques et aux Européens, adopté avec joie tout ce qu’il avait pu apprendre et des uns et des autres ; plusieurs princes féodaux s’étaient convertis avec leurs sujets au christianisme. Mais l’influence de l’étranger avait achevé de bouleverser un pays désorganisé par des siècles de guerres civiles, plusieurs princes du midi s’étaient alliés aux Espagnols désireux de s’établir dans l’archipel, la haine des bouddhistes contre les chrétiens avait compliqué les guerres civiles de guerres religieuses ; pour rétablir la paix, les shoguns Tokugawa fermèrent le pays au commerce extérieur ; en même temps qu’ils supprimaient la plupart des principautés féodales et soumettaient les autres, qu’ils imposaient le bouddhisme comme unique religion, ces princes expulsèrent les étrangers, ils tolérèrent cependant que les Chinois et les Hollandais continuassent de visiter Nagasaki à de certaines époques et d’y vendre leurs marchandises dans des conditions rigoureusement déterminées. Quelques précautions qu’il prît, le gouvernement ne put empêcher que les Hollandais, dont on achetait surtout des instrumens scientifiques (montres, baromètres, thermomètres, compas, etc.), ne vendissent aussi les livres qui en expliquaient l’usage et avec ces livres d’autres livres. Malgré des défenses, qui dès la fin du XVIIIe siècle furent d’ailleurs en partie rapportées, les savans japonais, comprenant qu’ils ne pouvaient progresser sans le secours du monde, et que ce secours, la Chine dégénérée était incapable de le leur donner, se mirent résolument à l’école des Hollandais ; dès la fin du XVIIIe siècle, ils publiaient des traités d’anatomie, de botanique, de physique, de chimie, de géographie, etc., et leur ardeur augmenta encore quand de 1823 à 1829 le savant allemand Siebold, au service de la Compagnie des Indes néerlandaises, ouvrit des cours à Nagasaki, puis à Yedo. Purement scientifique au début, le mouvement devint politique quand les patriotes japonais comprirent le danger que leur faisait courir l’extension européenne en Asie, ils reconnurent que pour échappera la conquête étrangère, il leur fallait renoncer à leur isolement séculaire et s’initier à la civilisation du monde.