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Les premiers jours de septembre sont passés et le soleil nous quitte tôt derrière les montagnes ; pour nous dédommager un peu, nous sommes, un matin, de très bonne heure sur les hauteurs ; nous attendons le lever de l’astre en suivant une mignonne rivière (la Versoix), dont l’eau limpide et froide coule vite vers la vallée, emportant parfois des pierres assez fortes qui laissent à découvert de jolies truites aux reflets argentés. Des pêcheurs sont dans l’eau, tout retroussés ; ils prennent à la main ces petites bêtes qui leur échappent quelquefois pour reprendre leur course au fil de l’eau, et vite se cachent sous le premier caillou propice. Ce jeu amuse mon maître, qui avait longtemps désiré voir cette pêche et aussi la façon dont on prenait ces poissons à la chair si délicate : « Cette pêche, me dit-il, avec ce soleil sur ces monts et sur cette plaine, vue d’ici, me donne des inspirations dont je vais faire une chronique pour le Gaulois. »


Nous nous disposons à quitter Divonne ; mon maître me dit qu’il a trouvé le sonnet qu’il voulait faire pour M. Gounod.


18 septembre 1891. — C’est avec un véritable plaisir que nous retrouvons le confortable appartement de la rue Boccador. M. de Maupassant exprime le regret de ne pouvoir emporter en voyage toutes ces choses familières qu’il aime, qu’il a l’habitude de voir et de toucher chaque jour, « et surtout mon lit, » ajoute-t-il, car je ne puis trouver le pareil nulle part.

Le 19, il rentre pour dîner et paraît tout heureux. Il a, paraît-il, rendu visite à un éminent professeur de la Faculté de médecine qui suit ses malaises depuis plusieurs années : « M. le docteur G…, me dit-il, m’a trouvé absolument bien ; je lui ai confié ce que je pensais de Divonne et nous sommes tombés d’accord pour reconnaître que c’était bien le traitement qui me convenait. Du reste, le résultat le prouve assez. »

Ce professeur, qui est un homme de beaucoup de cœur, avait, il y a quelques années, pris mon maître en amitié ; il le traitait avec une affection toute paternelle et semblait toujours le regarder comme un adolescent sans expérience. C’est ainsi que Monsieur s’en étant allé à Cannes sans moi, il y a un an,