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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/319

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V

On voulut aller vite ; et les brutalités, plus improvisées que calculées, furent tout de suite incohérentes ; l’État cherchait à paraître fort et réussissait à paraître fantasque. La loi qui coupait les vivres à l’église romaine, promulguée le 22 avril, reçut dans un certain nombre de localités un effet rétroactif ; ce fut à partir du 1er avril que les crédits ecclésiastiques y furent considérés comme suspendus ; on ne coupa les vivres, ailleurs, qu’à partir du 1er mai.

Parallèlement à la loi qui affamait le clergé séculier, fonctionna sans retard, avec une vigueur cruelle, la loi concernant les congréganistes. Elle eut vite fait, en quelques semaines, d’installer dans plusieurs centaines de maisons un silence de mort et de jeter à travers le monde, déracinées, un grand nombre de religieuses. On devait calculer en 1879 que les diverses mesures d’ostracisme prononcées contre les moines et contre les nonnes, depuis le début du Culturkampf, avaient eu pour résultat la suppression de 296 couvens, et la sécularisation ou l’émigration de 1 181 religieux, de 2 776 religieuses.


Plus encore que sur ces mesures de rigueur, l’État comptait, peut-être, pour maîtriser l’Église, sur le fonctionnement de la loi qui introduisait dans l’administration des biens ecclésiastiques le suffrage universel des paroissiens. Elle pouvait, on se le rappelle, s’appliquer de concert avec l’épiscopat, ou bien sans son concours : c’était à lui de décider.

Réunis en mars à Fulda, les évêques avaient longuement étudié le projet. Coopéreraient-ils à son application, ou bien opposeraient-ils, à cette loi comme à toutes les autres, une résistance systématique ? Les conséquences de cette résistance les effrayaient ; elle risquerait de faire tomber en de fort mauvaises mains, ad manus pessimorum hominum, l’administration des biens ecclésiastiques. Ils étaient si assurés de la piété de leurs fidèles, et de leur docilité, qu’ils auguraient que de fort bons catholiques pourraient être élus, presque partout, tant à la représentation paroissiale qu’au Conseil d’Église. L’heure était critique : on mettait ces évêques en face de la foule catholique ; ils n’avaient pas le droit de faire un choix dans cette foule, d’y choisir eux-mêmes les catholiques qui leur fussent agréables,