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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/348

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342 REVUE DES DEUX MONDES. L’Empereur. — Ma sortie du palais, qui semblait si péril- leuse: aucun obstacle!... Toi, mon cher ministre, dans ton palanquin officiel, moi à tes côtés sous le costume de ton secré- taire ! Je souriais, t’en souviens-tu? comme un écolier qui prend la clef des champs; j’avais l’air trop joyeux, cela te faisait peur... Et lui, ton pauvre petit secrétaire, ton élève, presque ton fils, consentant à prendre ma place, dans mon lit aux soies funèbres, au fond de ma chambre sépulcrale, grillée, murée, remurée, où l’on étouffe à respirer des parfums trop suaves!... Si j’en réchappe, que pourrai-je bien faire pour reconnaître ce dévouement prodigieux : s’être substitué au martyr que j’étais, être entré dans la momie d’un Empereur de Chine ! PuiTs-DES-Bois. — Ce rôle, saura-t-il le tenir ? L’Empereur. — Ah ! c’est un rôle aisé, que celui de souve- rain, dans ma triste chambre close : dormir, lire ou méditer ; se garder de rien faire de plus... J’ai employé l’arme dont on se sert si souvent contre moi: on m’accuse d’être malade, quand je ne le suis pas ; cette fois je prétends l’être, qui osera ne pas le croire ? PuiTS-DES-Bois. — Et le médecin, qui soigne ce faux empe- reur, êtes-vous sûr au moins de sa fidélité? L’Empereur. — Mon médecin? quel intérêt aurait-il à trahir? Il croit à quelque expédition galante et je lui ai promis une province si mon absence n’est pas découverte. Il veille sur son malade et interdit sévèrement à quiconque de l’ap- procher. PuiTs-DEs-Bois. — C’est admirable !... L’Empereur. — Même dans ma ville de Pékin, qui donc risquait de me reconnaître, puisque aucun de mes sujets n’a jamais aperçu mon visage... Ah ! cela rend la fuite aisée, d’être un empereur invisible î... Et une fois sur le vaisseau, frété par tes soins, te rappelles-tu, quelle ivresse de s’envoler dans l’es- pace, légers comme les nuages de fumée que déroulait notre cjpurse !... PuiTS-DEs-Bois. — C’est vrai, l’enlèvement du vice-roi et de ses compagnons était un point plus dangereux encore, mais nos matelots s’en sont tirés comme à miracle ! Les immortels sont avec vous. Majesté ! L’Empereur. — Pauvre petit vice-roi ! Et l’escorte qui venait à sa rencontre, ne l’ayant jamais vu non plus, rien d’aussi