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de n’avoir pas émigré, ils continuaient à laisser s’étaler au grand jour les preuves de leur opulence.

On est donc autorisé à penser que, dès ce moment, les poursuites contre les Magon furent arrêtées en principe et que, pour les justifier par un prétexte propre à frapper l’opinion, on songea à imaginer une conspiration dont tous seraient déclarés auteurs ou complices et qui aurait eu pour but de renverser la République et de rétablir la royauté. L’hypothèse devient certitude lorsqu’on se rappelle que le même grief fut allégué contre un nombre considérable de suspects et que le fameux complot des prisons, qui coûta la vie à tant d’innocens, fut forgé de toutes pièces, à l’instigation de quelques scélérats qui voulaient des hécatombes et cherchaient à prouver qu’elles constituaient des châtimens mérités. C’est de ce grief inventé à plaisir que s’inspireront les actes d’accusation contre les Magon. On imputera à ces malheureux le crime « de s’être concertés avec les émigrés dans un but contre-révolutionnaire, de leur avoir fourni des fonds et d’avoir favorisé leurs projets liberticides. » Pour les rendre plus odieux et plus criminels aux yeux du peuple auquel on les dénonce, on leur donnera comme complices des gens qui leur sont étrangers, de telle sorte qu’on verra figurer sur les bancs du tribunal, compris dans les mêmes accusations, des inculpés entre lesquels il n’y a eu jusqu’à ce jour aucune relation. Le complot dont ils sont prévenus n’a jamais existé. Mais on ne leur laissera pas le temps de le démontrer : quand ils voudront parler, on leur imposera silence et, comme ils n’ont pas d’avocats, ils seront condamnés sans avoir été autorisés à se défendre.

Il n’est que trop vrai, du reste, que souvent leurs imprudences contribueront à favoriser les sinistres desseins dont ils sont les victimes et qu’en ce qui concerne, par exemple, Magon de la Balue, il fournira lui-même des élémens décisifs à l’accusation portée contre lui, en conservant ses registres de banque et les lettres de ses correspondans, desquels ressort la preuve qu’il n’a pas cessé, au mépris des lois, d’entretenir des rapports avec des émigrés. Il n’est pas besoin d’en dire davantage pour expliquer le décret d’arrestation décerné contre lui le 23 vendémiaire de l’an II (14 octobre 1793), et les poursuites dont, dès le mois de septembre, avaient été l’objet, à Saint-Malo, plusieurs membres de sa famille.

Il faut, cependant, faire remarquer qu’au moment où le