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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/374

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Au mois de mars 1793, ce fut un événement d’une autre sorte, mais non moins compromettant, qui mit inopportunément son nom dans toutes les bouches et dans les gazettes. A l’improviste, un Italien nommé Magenthies, que personne ne connaissait et dont on ne saurait dire si c’était un escroc ou si c’était un fou, se déclara publiquement son créancier, depuis 1786, d’une somme considérable, laquelle, grossie des intérêts, dépassait neuf millions. A l’en croire, elle lui aurait été envoyée par un banquier de Vienne chez Magon de la Balue qui, au lieu de la lui remettre, se la serait appropriée. Magon refusant de la lui rembourser, il porta sa réclamation devant le Comité de Salut public en lui demandant d’obliger le débiteur à y satisfaire. Pour prix de ce service, il offrait d’abandonner à la nation, soit à titre de don patriotique, soit à titre de prêt, la presque totalité de sa prétendue créance, ne se réservant que 600 000 livres pour désintéresser ses créanciers et suffire à ses besoins personnels.

Entre temps, Magon de la Balue n’avait eu aucune peine à prouver que les dires de Magenthies n’étaient que mensonges et qu’il ne lui devait rien. Le Comité de Salut public écarta dédaigneusement l’offre qui lui était faite, et comme Magenthies la maintenait avec insistance, il se délivra ultérieurement de ses importunités en le décrétant d’arrestation, sous un prétexte qui lui fut fourni par une dénonciation du Club des Jacobins. Magenthies ne s’était-il pas avisé de demander à la Convention de décréter la peine de mort contre quiconque blasphémerait, jurerait et emploierait ce que la dénonciation jacobine appelait « une expression insignifiante et qui est ordinairement dans la bouche des citoyens sans-culottes qui n’ont jamais employé les formes et les expressions fausses et recherchées de ce qu’on appelait gens comme il faut. » L’homme ayant été incarcéré le 6 thermidor, trois jours avant la chute de Robespierre et remis en liberté un mois plus tard, le 10 fructidor, on n’entendra plus parler de lui. Mais ses bruyantes démarches avaient eu pour effet de rappeler au Comité de Sûreté générale qu’il y avait à sa portée, réunis dans les mains d’une même famille, plusieurs millions bons à prendre et que, pour se les approprier, il suffisait de se débarrasser des possesseurs, entreprise d’autant plus facile en un temps où toutes les iniquités étaient sanctionnées par des lois de sang, que, se faisant honneur