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… D’un Grec nous plaignons le malheur.
Un compagnon d’Ulysse, un Grec, a sauvé Troie.


Ce qui lui manque le plus, c’est la puissance d’évocation pittoresque. Bien loin qu’on puisse pressentir en lui le futur « visionnaire, » halluciné par les formes et les couleurs, les images, souvent si frappantes, du poète latin ne subsistent chez lui que tout à fait estompées. Les mots concrets sont noyés dans une paraphrase vague et banale, les détails réalistes sont ennoblis, les coupes saisissantes disparaissent dans une fade uniformité d’alexandrins classiques. Cela prouve que le don de peindre, même chez les artistes les plus grands et les plus vrais, n’est peut-être pas aussi inné qu’on se le figure. Ceux « pour qui le monde extérieur existe » ne sont pas tels du premier coup ; il leur faut, avec une certaine maturité d’imagination, une certaine dose d’expériences sensibles ; ils ne savent voir qu’après avoir beaucoup regardé. Cette infériorité des traductions virgiliennes de Victor Hugo n’est donc pas étonnante, et elle ne suffit pas pour nous autoriser à leur appliquer le mot dédaigneux de l’auteur lui-même : « Bêtises que je faisais avant ma naissance. » Disons, si l’on veut, que Hugo n’était pas né encore, mais qu’il était sur le point de naître.

Au surplus, il serait puéril de se borner à épiloguer sur la valeur littéraire plus ou moins grande du Cacus ou de l’Achéménide. Il n’est même pas bien nécessaire de chercher ce que les « sujets » de ces exercices d’imitation ont pu laisser dans la mémoire de l’apprenti poète. S’inspire-t-il du combat d’Hercule et de Cacus lorsqu’il dépeint les luttes épiques d’Ordener, de Roland ou d’Éviradnus ? L’Iblis de la Légende est-il une réplique des Cyclopes de l’Enéide ? M. Guiard le conjecture, non sans vraisemblance : mais on est bien forcé d’avouer que l’imitation, si imitation il y a, n’est que lointaine et partielle. Le souvenir virgilien n’a été au plus que le noyau primitif de la description romantique : tout autour sont venus se cristalliser bien des élémens hétérogènes, lectures modernes, inventions personnelles, idées morales, etc., dont la juxtaposition fait précisément la riche et vivante complexité de l’œuvre définitive ; il serait bien téméraire d’y vouloir déterminer rigoureusement l’apport exact de Virgile. A notre avis, la vraie question est beaucoup plus haute. Il s’agit de savoir, non pas les thèmes de