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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/429

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développement que Virgile a pu fournir à son jeune disciple, mais la conception d’art qu’il a pu lui suggérer.

Là-dessus, malheureusement, ses confidences personnelles nous renseignent assez mal. Jusqu’à l’époque de sa maturité, s’il loue beaucoup son maître, il le juge sans grande précision, et par conséquent ne nous apprend guère ce qu’il croit lui devoir. Des épithètes comme « mon tendre Virgile » ou « mon auteur chéri, » ou la constatation que Virgile, à la différence de Delille, avait « du génie, » sont des éloges trop creux pour qu’on en puisse conclure quoi que ce soit. Deux ou trois réflexions, cependant, sont à retenir. Dans un article du Conservateur Littéraire, Hugo fait observer que « telle églogue de Virgile pourrait fournir des sujets à toute une galerie de tableaux ; » un rapprochement avec André Chénier fixe encore mieux le sens de cette remarque sur la valeur plastique des vers du poète latin. Dans la préface de Cromwell, Hugo ne nomme pas Virgile, mais certainement songe à lui, lorsqu’il signale la grandeur noble que la poésie antique sait jeter sur les grotesques qu’elle met en scène : « Polyphème est géant, Silène est dieu. » Beaucoup plus tard, dans la préface des Rayons et Ombres, il dit en parlant de lui-même : « Sans méconnaître la poésie du Nord,… il a toujours eu un goût vif pour la forme méridionale et précise. La Bible est son livre. Virgile et Dante sont ses divins maîtres. » Cette profession de foi est de 1840, mais il est clair que, dans la pensée de l’écrivain, elle s’applique à toute sa production antérieure. Pour la bien comprendre, rappelons-nous quels sont les autres poètes que le jeune Hugo, à son entrée dans la vie littéraire, a pu connaître, et comment il a pu les interpréter : nous saisirons d’autant mieux ce qu’a dû être alors pour lui l’auteur de l’Enéide. Ne parlons pas des poètes français récens : ils lui ont sûrement paru (quoiqu’il ait salué avec respect la mémoire de Delille) bien fades et bien froids. Parmi les Latins autres que Virgile, il a étudié Horace (qu’il ne séparera guère de son illustre ami), Lucain, Juvénal, Ausone : mais chez ceux-là, chez Lucain ou Juvénal par exemple, s’il trouve la grande ampleur de la période et la belle sonorité du vers, qualités que son imagination architecturale et musicale ne manque pas d’apprécier, les autres tendances de son tempérament ne sont pas absolument satisfaites. Ces durs Latins de la décadence n’ont rien pour la sensibilité ni la rêverie, leur forme est trop