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puisse démêler, dans ce que nous appelions tout à l’heure la vision virgilienne de la nature chez Victor Hugo, plusieurs élémens associés. C’est d’abord, dans les détails du paysage, une impression de grâce et de douceur. La fraîcheur des sources, l’éclat souriant des fleurs, le silence pacifique des bois et des champs, la volupté de l’ombre, tout ce qui charme, repose, rassure, c’est ce à quoi Hugo, dans ses bons jours, dans ses jours virgiliens, se laisse prendre volontiers. — Si les détails sont suaves, jolis même, cela n’empêche pas que l’ensemble n’ait de la grandeur et de la force, et ne soit tout imprégné du sentiment de la vie universelle. Virgile, en même temps qu’imitateur de Théocrite, a été disciple de Lucrèce : Hugo le sait, et, à son exemple, aperçoit dans toutes les choses particulières, non seulement leur beauté propre, mais l’expression localisée de l’immense effort cosmique, et, comme il dit :


La pénétration de la sève sacrée.


Mais cette vie puissante, débordante, reste une vie harmonieuse. Le développement des êtres demeure soumis, comme l’activité humaine, à la loi de l’ordre et de l’équilibre. Éclaircie surtout traduit ce sentiment avec une noblesse remarquable. Le travail de l’homme n’en est pas exclu, témoin ces deux vers qui ne sont traduits d’aucune phrase de Virgile, et qui rappellent toutefois à merveille l’esprit des Géorgiques :


Le grave laboureur fait ses sillons et règle
La page où s’écrira le poème des blés.


Et d’autre part, tout dans la nature, sons, lueurs, mouvemens, tout concourt à produire une impression de joie robuste et sereine :


Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde.


Quelle que soit l’originalité de ces descriptions de Hugo, et quand bien même elles contiendraient encore moins de vers qu’elles n’en renferment traduits ou imités de Virgile, n’est-on pas fondé à les appeler virgiliennes, tant on y retrouve ce qu’il y a d’essentiel dans celles du poète latin ? Sans le souvenir des Bucoliques et des Géorgiques, ne peut-on pas croire que Victor Hugo se fût plus absolument laissé dominer par son goût croissant du colossal et de l’épouvantable ; qu’il aurait fini par ne plus