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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/464

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REVUE DES DEUX MONDES.

familiariser avec l’esprit et la pratique de ces langues[1]. Dans les écrits de l’école de Montaigne et de celle de Sanchez, il avait cru trouver une réponse suffisante aux problèmes que n’avaient pu résoudre en lui les vaines spéculations de la Cabbale ; et bientôt, sans doute, à ce pyrrhonisme total avait succédé chez lui une conception « naturaliste, » suivant laquelle toute réalité se réduisait aux seules lois de l’univers matériel, — ce qui impliquait pour l’intelligence humaine la possibilité et l’obligation de s’employer tout entière à la recherche de ces lois scientifiques. Mais rien de tout cela n’avait de quoi satisfaire pleinement et durablement l’ardente curiosité philosophique, — ou plutôt religieuse, — qui toujours avait survécu dans le cœur du jeune homme aux plus cruelles déceptions de son esprit, faisant de lui le digne descendant et continuateur de la longue génération de ces mystiques juifs qu’il croyait dédaigner. Sceptique ou naturaliste, l’élève du « séminaire » rabbinique d’Amsterdam s’étonnait et se désolait de l’étrange inquiétude que maintenait en lui l’exploration de ces doctrines nouvelles où il avait d’abord espéré pouvoir se fixer. Il avait beau se nourrir à présent de géométrie et de sciences physiques : les lumières qu’elles lui révélaient l’éclairaient sans parvenir à le réchauffer ; et de mois en mois l’agitation qui l’avait envahi lui devenait plus pénible, lorsque, vers l’année 1651, la lecture de l’œuvre de Descartes lui ouvrit enfin l’issue que depuis longtemps il s’épuisait à chercher, l’issue par laquelle il réussirait désormais à s’évader de l’étouffante atmosphère d’ignorance et de doute où il était resté enfermé depuis plus de dix ans.


Ce qu’a été pour lui, désormais, cette révélation de la méthode et des théories cartésiennes, M. de Dunin-Borkowski nous le dit à son tour, en des pages d’une érudition, d’une mesure, d’une pénétration psychologique vraiment admirables. Il nous montre le jeune savant amené d’abord à l’étude de Descartes par sa seule curiosité scientifique, et n’arrivant que peu à peu à découvrir, dans l’œuvre du philosophe français, un ensemble de principes et de procédés les mieux faits du monde pour lui permettre de fonder sur eux la certitude absolue dont il avait toujours eu besoin, comme aussi d’employer à la création d’un système nouveau toutes les notions

  1. J’ai eu autrefois l’occasion d’étudier ici les relations du jeune Spinoza avec ce curieux Van der Ende, — type parfait du « libertin » d’alors, — comme aussi dé raconter brièvement la période de la vie du philosophe qui a suivi sa rupture avec la synagogue. (Voyez la Revue du 1er août 1896.)