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deviendra absolue dans les faits, bientôt, entre l’enseignement secondaire et la démocratie. La tendance qui se montre un peu partout de supprimer l’enseignement secondaire et de mettre bout à bout l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur est démocratiquement justifiée.

Vous entendez maintenant toute la force du mot de Thiers : « L’enseignement secondaire, c’est l’enseignement national. » Je le crois bien : pour lui, rien de plus incontestable. Il était bourgeois ; il ne comprenait que la nation, cultivée autant qu’elle pourrait l’être, conduite et gouvernée par une bourgeoisie très cultivée, et c’est cette bourgeoisie qui était pour lui la nation ; donc « l’enseignement secondaire, c’est l’enseignement national. » Mais par ce mot, si, bourgeoisement, il intronisait l’enseignement secondaire, démocratiquement il le condamnait à mort. Il y a toujours deux conclusions à chacune de nos idées générales, celle que nous en tirons et celle que, de leur point de vue, nos adversaires en tirent, aussi logiquement du reste que nous.

Maintenant, laissons l’enseignement supérieur en général et envisageons l’enseignement supérieur des lettres en particulier. Remarquez-vous tout de suite qu’il a une situation toute spéciale qui n’est nullement celle des autres enseignemens supérieurs ? Les autres enseignemens préparent à une profession, celle de médecin, celle d’avocat, etc. L’enseignement supérieur des lettres prépare lui aussi à une profession ; mais à laquelle ? A celle de professeur d’enseignement secondaire et de professeur d’enseignement supérieur. Voilà qui est tout à fait particulier ; car, comme préparant à la profession de professeur d’enseignement secondaire, il prépare à une profession qui consistera précisément à n’enseigner aucune profession. Il doit dresser des élèves à une profession non professionnelle. Il doit, enseignement supérieur et par conséquent utilitaire, enseigner une profession non utilitaire. Est-ce assez particulier ? Il est le seul enseignement supérieur qui soit dans ce cas.

— Mais, à ce compte, je frémis à y penser, il doit rester enseignement secondaire lui-même ?

— Il me semble ainsi ; mais poursuivons, examinons encore. L’enseignement supérieur prépare aussi à l’enseignement supérieur ; il fait des professeurs d’enseignement supérieur et, par conséquent, il faut qu’il soit enseignement supérieur. N’est-il pas vrai ?