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est évidemment un professeur très incomplet ; mais il peut être un professeur excellent à préparer à la licence et à l’agrégation, tant que licence et agrégation n’auront pas de caractère éruditionnel, ce qu’à mon avis elles devront ne jamais avoir ; il peut faire la culture du goût et aider à penser…

— Vous avez dit vous-même que le goût était incommunicable et aussi qu’on n’enseignait pas à penser…

— Je ne songe qu’à le répéter ; mais si l’on n’enseigne pas à avoir du goût on peut avoir du goût devant cent personnes et les exciter à en avoir ; ce n’est qu’une excitation ; mais elle est puissante ; et si l’on n’enseigne pas à penser, on peut penser devant cent personnes et les exciter par l’exemple à penser par elles-mêmes et ce n’est qu’une excitation ; mais elle est vive. « J’ai vu l’enseignement secondaire, dit l’Ecclésiaste, et j’ai vu combien il est vanité. » Il a bien raison ; car quand il est communicable, il est infécond, et quand il paraît qu’il serait fécond, il est incommunicable. Un élève recueille pieusement une leçon de goût et la reproduit religieusement dans une bonne rédaction et la fait passer superstitieusement par petits morceaux dans une douzaine de devoirs. Il marque par cela qu’il est un sot, qu’il est incapable d’avoir du goût par’ lui-même et qu’il était bien inutile qu’il écoutât la leçon de goût. Je dirai exactement de même d’une leçon d’idées. Voilà ce que j’appelle l’enseignement communicable, mais stérile. — Inversement, vous avez affaire à un auditeur qui a son goût à lui et sa manière de penser à lui ; votre leçon de goût ne réussit qu’à le choquer, et votre leçon d’idées ne réussit qu’à le contrarier et à le faire souffrir. Dans ce cas, étant donné le terrain réceptif, l’enseignement aurait pu être fécond ; seulement il était incommunicable.

C’est vrai et cependant le contact et même le choc de l’homme de goût et de l’homme d’idées éveille, stimule, avive, met en mouvement ceux qui sont capables d’avoir un goût et d’avoir des idées. Il est également incontestable que l’on n’est un homme de valeur que quand on est un autodidacte et que l’on va beaucoup plus vite dans le chemin de la connaissance, quand, tout en étant autodidacte, on est en commerce avec des gens instruits et intelligens. L’enseignement secondaire, à dire vraiment les choses, n’est pas un enseignement ; il est un commerce ; il consiste à vivre intellectuellement avec des gens