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546 REVUE DES DEUX MONDES. L’Impératrice. — Hélas ! le Phénix et le Dragon portent aujourd’hui des chaînes et ne peuvent s’élever aussi haut qu’ils le voudraient dans les nuées, dans les airs... L’Empereur. — Ah ! ffue je souhaiterais être l’Empereur tartare qui règne à Pékin !... L’Impératrice. — Quelle somhre et étrange idée ! Vous sou- haiteriez être mon plus mortel ennemi? Pourquoi donc? L’Empereur. — Pour tenter de mettre la Chine entière à vos pieds, vous rendre votre bien, et devenir, après, votre sujet le plus fidèle. L’Impératrice, souriant. — Quel rêve!... Mais de cet Empe- reur-là, je ne pourrais rien accepter... que la mort. Ne désirez pas être un autre que vous-même, car nul, jamais, ne m’a inspiré une aussi subite et profonde sympathie. Ne quittez pas encore le palais... Attendez mes ordres : puisque vous n’avez pas d’ambition, je veux en avoir à votre place, et vous garder, peut-être, plus près de moi... Au revoir... L’Empereur se lève et s’incline. — De près ou de loin, ma pensée demeure prosternée aux pieds de Votre Majesté. (H s’éloigne, bas à Puits-des-Bois.) Ami, sous mon déguisement, je triomphe! Pour la première fois, depuis trois cents ans, une Chinoise donne son amour à un Tartare ! PuiTS-DES-Bois. — Oui, emportez-la, cette glorieuse joie; mais, de grâce, partons vite!... (On offre le thé à l’Empereur; peu à peu il se déi’obe, entraîné par son ministre.) Le conseiller, au secrétaire. — Il ne s’agenouille même pas pour recevoir le thé impérial. Le secrétaire. — Il comprend qu’il peut déjà tout se per- mettre. L’Impératrice, à part, rêveuse. — Je ne suis plus maîtresse de ma volonté... Les mots s’envolaient de mes lèvres, comme des oiseaux captifs qui retrouvent le ciel... Je me suis trahie... avec bonheur ! . . . (Une rumeur, des cris ; tous les assistans effrayés. Des officiers du palais entrent précipitamment. La main sur la garde de leur sabre, Prince- Fidèle et Prince-Ailé s’approchent, comme pour la défendre, de l’Impéra- trice qui s’est levée du trône.)