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est plein de possibilités… » Et, plus imprudent encore, le commandement en chef des milices canadiennes, le général Hutton, envisage « le jour où ce ne sera plus 1 000 hommes, mais 50 000, mais 100 000, qui pourront être demandés au Dominion pour le maintien de l’unité de l’Empire. »

Quelques mois plus tard, j’assistais à un déjeuner intime que présidait M. Joe Chamberlain. Un sénateur canadien, deux journalistes, un député aux Communes esquissèrent, pour éclairer la religion du voyageur français, le plan de l’Empire un et indivisible. Par un prodige de l’énergie humaine, l’îlot encombré s’est étendu sur les hémisphères, comme un polype géant. Les champs de blé et les troupeaux de moutons, l’Angleterre les relègue, faute de place, au Canada et dans l’Australie. Les champs bruns de l’Oxfordshire, les mottes rouges du Devon ne suffisent plus pour alimenter 43 millions d’hommes, entassés dans une île où vivaient avec peine, jadis, une dizaine de millions d’êtres humains. Les collines, les vallons du Midland et du Yorkshire ont disparu, nivelés par les villes, comblés par les scories. Les terres à froment du Dominion, les centres d’élevage de l’Australie seront reliés aux cités, qu’ils doivent ravitailler, avec autant de sécurité, par les câbles et les steamers, que le sont les comtés ruraux du Sud et de l’Ouest par les voies ferrées à l’Est et au Nord, industrieux et enfumés. Les océans, qui coupent de leurs taches bleues l’étendue de cette nation nouvelle, rappellent simplement ces parcs qui, aujourd’hui encore dans l’île britannique, entre les villes qui se serrent et se touchent, viennent jeter l’ondulation de leurs prairies. L’Empire unifié n’est que l’Angleterre élargie.


Et, cependant, il suffit de regarder Québec, pour voir qu’une autre civilisation a laissé sur le Canada une ineffaçable empreinte. Par-dessus les mâts et les pontons, qui masquent la ville basse, s’élèvent des maisons à pignons, des toits élancés, des clochers effilés, des tours, où les regards d’outre-Manche cherchent en vain une silhouette britannique. Les cloches des églises et des monastères, qui tintent joyeusement, n’ont pas une sonorité anglaise. Les paysans, qui se pressent sur le marché, au pied d’une basilique d’un XVIIIe siècle tout français, n’ont rien de saxon. Ils s’obstinent à grouper leurs maisons sur