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le bord des routes. Pour la grande stupeur de leurs collègues écossais de l’Ontario et américains du Manitoba, ils n’ont aucun goût pour les chaumières bon marché, auxquelles deux étages et une tôle utilitaire donnent une physionomie banale. Par je ne sais quelle hérédité, ils aiment les longs toits pointus et penchés, qui couvrent la maison basse d’une aile protectrice. Un étage leur suffit. Ils ne peuvent se passer d’une lucarne. Ces gens étranges, dont l’économie n’a rien de britannique, gaspillent, dans des achats de couleurs, un argent précieux. Ils veulent que la chaumière, blanche ou rose, se détache sur la verdure. Les charpentes brunes, les volets verts ont à leurs yeux un attrait particulier. Ils connaissent les machines ; mais ils ne dédaignent ni la faux, ni le râteau. Leur coup de chapeau déférent, leur « bonjour » souriant plongent dans la stupeur l’homme de l’Ouest. Rebelles à la fièvre yankee, ces paysans laborieux et économes, mais satisfaits et résignés, n’ont aucun goût pour la vie intense. Quand l’hiver vient, au lieu de s’embaucher à la ville ou dans le Sud, ils préfèrent profiter des longues veillées, dans la chaumière bien close, pour danser et chanter. Et tandis que sur la campagne silencieuse tombe un lourd manteau d’ouate, les échos de Claire fontaine et de Malbrouck s’en va t’en guerre passent à travers les fentes lumineuses des portes, sous l’auvent des toits blanchis.

Les gars de Québec refusèrent de quitter leurs villages, leurs maisons aux volets verts, leurs églises au clocher pointu, pour aller se faire tuer, sous le drapeau anglais, dans l’Afrique du Sud. Sur 8 000 Canadiens, qui se battirent là-bas, une centaine seulement étaient de souche française. Les cérémonies, organisées à Trois-Rivières et à Montréal, pour fêter la victoire de Mafeking et la délivrance de Ladysmith, furent accueillies par les huées de la foule. Et, au sein du Parlement, une voix ardente et jeune s’élève :


L’Empire britannique est-il vraiment en péril ? Réclame-t-il nos armes pour le sauver ? Ou bien sommes-nous en face d’une tentative de fédération militaire, projet cher à M. Chamberlain ? Voilà des questions que le peuple canadien a le droit de peser et d’entendre résoudre nettement, au moment de se laisser entraîner dans une guerre, dont je ne veux apprécier maintenant ni les causes, ni la légitimité… Il s’agit de savoir si le Canada est prêt à renoncer à ses prérogatives de colonie constitutionnelle, à sa liberté parlementaire, au pacte conclu avec la métropole, après