pain, de réserver aux fromens, moissonnés sur la terre impériale, un régime de faveur. Encore une décade, et l’armature économique pourra être vissée. Mais le rêve de M. Joë Chamberlain devient impossible à réaliser, si les blés et les farines canadiennes manquent. L’écrasante prépondérance des importations étrangères empêche le fonctionnement des tarifs différentiels. L’Empire ne suffit même plus à ravitailler la Grande-Bretagne. Le Canada avait remplacé le Devonshire et le Wiltshire. Il se dérobe à son tour. Le fédéralisme économique fait banqueroute. Les rivets sautent, avant même qu’un maître ouvrier ait eu le temps de les enfoncer plus avant. La destinée veut que John Bull ne puisse jamais moissonner tout son blé dans ses terres. Il était jadis, pour son pain quotidien, tributaire des États-Unis. Il devient, bon gré, mal gré, le client de la Russie et de l’Argentine, bien heureux encore si l’absorption croissante des fromens canadiens par les meuniers et par les spéculateurs américains ne l’oblige pas, bientôt, à payer son blé plus cher que son voisin Froggy, dont il raillait les indulgences protectionnistes et les champs monotones.
Non seulement le traité de réciprocité empêche tout rapprochement économique entre le Canada et la mère patrie, mais il entraîne le Dominion dans l’orbite des Etats-Unis. Il vient imprimer une intensité nouvelle au flux de ballots d’or et d’hommes que l’oncle Sam déverse dans la prairie canadienne, et qui tendent à y entretenir une atmosphère « continentale, » aussi différente de celle que rêvaient les Impérialistes, que l’atmosphère « française » de Québec et de Montréal.
Il y a dix ans, la part de la Grande-Bretagne et des États-Unis dans le commerce du Dominion était sensiblement égale. En 1899 et 1900, sur 63 et 75 millions de livres sterling, John Bull revendiquait 27 et 31 millions, dont 7 et 9 à l’entrée. Jonathan réclamait, pour lui, 28 et 36 millions, dont 19 et 22 importés au Canada. En 1909 et 1910, les échanges du Dominion atteignent 114 et 138 millions de livres. La part de l’Angleterre n’est que de 41 et 49, dont 14 et 19 millions aux importations. Celle des États-Unis est, au contraire, de 56 et 68, dont 37 et 46 pour les seuls achats du Canada. La moitié exactement du commerce du Dominion a lieu entre l’ami Pierre et son voisin Sam. Dans peu d’années, au lieu de 50, ce sera 60 et 70 pour 100. Les trucks, qui vont déverser à Minneapolis les blés du